1 Quelle est la genèse de votre film, Le Grand Ecran ? D’où vient l’idée première ? Quelles ont été les étapes de sa mise en œuvre ?
Alphonse Ntep : Il faut dire que l’idée de faire ce film date de trois ans. Je m’en souviens comme si c’était hier. Les chiffres, je les connais par cœur parce qu’il s’agit de mon pays. En 2018, le Compte d’Affectation Spéciale pour le Soutien de la Politique Culturelle attribuait à la « CATEGORIE CINEMA ET AUDIOVISUEL » une enveloppe de 26.850.000XAF soit 40.000€ sur un total général de 221.900.000XAF soit 338.000€ destinée au secteur artistique et culturel de tout le triangle national. 32 projets avaient bénéficié de cette enveloppe. Des projets, qui, pour la plupart n’ont pas vu le jour ou du moins, ne verront « jamais » le jour.
Dès lors, je me suis posé mille et une questions… : Quelle est la place de la culture en général et du cinéma en particulier dans un pays comme le nôtre ? Pourquoi ne pas produire avec cette enveloppe un film de qualité qui pourrait valablement représenter les couleurs de la nation de par le monde ?
Il est peut-être vrai que plusieurs pays d’Afrique francophone connaissent le même sort… Mais, des efforts sont faits. On peut voir avec le cas du Sénégal qui investit à l’heure actuelle 2 Milliards XOF par an dans ce secteur, soit 3 Millions €, le Burkina Faso et la Cote d’Ivoire ne sont pas en reste (1 Milliard XOF soit 1.5 Million € par an).
Dans ce désarroi, j’ai eu le plaisir de faire la rencontre d’une jeune compatriote, Carole Djoukam, qui, avait partagé avec moi l’idée de faire un film sur le Festival Ecrans Noirs. Ce n’est qu’à partir de là que je me suis formellement engagé à réaliser et produire ce film, qui, est une conjugaison d’idées.
Il faut dire que le titre a connu beaucoup de mutation de : « BLACK SCREENS, THE REVERSE », en passant par « L’ECRAN, AU CŒUR DU DEVELOPPEMENT… » pour aboutir à « LE GRAND ECRAN », ce fameux court métrage documentaire de 23’.
Cette autoproduction est un véritable plaidoyer qui devrait ouvrir des perspectives aux cinéastes camerounais (surtout les jeunes) mais aussi ceux d’autres pays d’Afrique francophone. Il devrait inciter les autorités publiques, les organismes à créer un véritable fonds non seulement pour la formation des métiers du cinéma mais aussi de « prendre en compte le cofinancement de la diffusion avec le secteur privé ».
Vous comprendrez donc que c’est un documentaire propagandiste qui vante les mérites du cinéma. C’est tout aussi un film d’information car il conserve toute sa valeur informative même si pour certain, il présenterait l’inconvénient de travestir l’information sur la réalité montrée en l’arrangeant selon mes convenances.
Les étapes de sa mise en œuvre ont été très simples quoique cela nous ait pris trois années de notre vie, mon équipe et moi. Mais, il a été avant tout important :
- De bien définir le sujet… au regard des multiples intentions ;
- De faire une investigation et une recherche de documents relatifs au sujet ;
- Ensuite, un inventaire des documents trouvés a été fait, repérages ;
- Après, le tri, organisation et classification des documents trouvés par catégories et nature ;
- Ensuite, il a été question de faire le choix du contenu à aborder et de l’angle d’attaque (car on ne pouvait pas tout montrer. Il fallait choisir ce qui allait être montré ou dit sur le sujet). Elaboration de la trame et du canevas.
- Place au développement (écriture du sujet). Il était question de rédiger la narration off qui devait accompagner les images. Cette narration faisait office de « scénario » ou plus exactement du conducteur (texte emplacement des interviews plus les prévisions images et sons de chaque segment). Une tâche qui a été effectué par Loris Clet Adiang et Carole Djoukam qui signent le scénario du film.
- Nous avons par la suite enchainé avec les tournages sur les sites (prises de vues et sons, interviews…) pendant deux ans années successives 2019, 2020 sur une période de 7 jours par an car il fallait attendre chaque édition du festival Ecrans Noirs et avoir les accords de certains intervenants. Tous ne vivent pas au Cameroun. Les tournages ont donc été faits au Cameroun et en Belgique.
- Ce n’est qu’en Juin 2021 que mon équipe et moi avons entamé les montages. Il est important de dire que ça nous a pris du temps avant de commencer à le monter car je recherchais une véritable aide à la post-production pour ce film que je n’ai malheureusement pas pu obtenir. Il m’a fallu tendre la main du côté de la société civile qui m’a été d’un très grand soutien pour la finition de ce projet.
Cette étape a connu : le tri et maquettage (montage brut), la fabrication des éléments d’habillage (graphiques, affiches,..), post-production image et mixage son (Montage final, étalonnage et habillage). La version PAD est donc disponible depuis août 2021.
Par ailleurs, je ne dirais jamais assez merci aux membres de mon équipe, qui, pour la plupart ont travaillé sans « véritable salaire ».
Actuellement, nous en sommes à la phase de vente et de diffusion… Nous y travaillons et espérons qu’il soit largement diffusé dans le monde.

2 Quelle est la place du documentaire dans le cinéma africain en général et celui du Cameroun en particulier ?
Alphonse Ntep : Je vais éviter de parler d’un « cinéma » dit africain car pour moi le cinéma est universel et nous partageons nos cultures, nos valeurs et nos connaissances à travers son langage. Je dirais dès lors que le documentaire occupe une place importante dans le cinéma en Afrique comme partout ailleurs bien sûr. On peut le reconnaitre non seulement sur le plan quantitatif mais aussi qualitatif des productions du cinéma documentaire qui font la fierté du continent Africain de par le monde. Les exemples sont légion : « EN ROUTE POUR LE MILLIARD » de Dieudo Hamadi (RDC), « POISSON D’OR, POISSON AFRICAIN » de Thomas Grand et Moussa Diop (Sénégal) ou même « NUIT DEBOUT » de Nelson Makengo (RDC)… pour ne citer que ces films-là.
En ce qui concerne le Cameroun en particulier, autant dire avec franchise que c’est l’un des pays africains qui produit le moins de film documentaire sur une année… A quelques rares exceptions près avec les cinématographies des réalisateurs qui ont toujours fait bouger les lignes à savoir Jean Marie Teno, Mary-Noël Niba, Rosine Mbakam, François Woukoache… la liste est exhaustive.
Mais, il faut noter que depuis un certain temps, avec la nouvelle vague de cinéastes au Cameroun, on observe de plus en plus un grand intérêt pour le genre documentaire. D’ailleurs, au Cameroun, des initiatives collectives sous formes de programmes tels que Patrimoine-Héritage ou Yaoundé Lab Film accompagnent des jeunes auteurs et autrices dans l’écriture, le développement, la production et la coproduction des projets de films documentaires.
3 Quel type de public le cinéma a-t-il au Cameroun ?
Alphonse Ntep : Je pense qu’à l’heure actuelle, au Cameroun, le cinéma produit localement est en phase de réconciliation avec le grand public. Même s’il faut reconnaitre que le public jeune répond le plus présent. Mais, ce qui manque à la production locale, c’est la communication autour du produit (film) pour pouvoir atteindre la cible préétablie. Le grand public consomme davantage ce qui est vulgarisé. Mais, je pense que pour une industrialisation effective du secteur du cinéma au Cameroun l’on devrait concilier ces trois piliers : les films (qui se font de plus en plus rares, moins de 10 films produits par an), les salles (pratiquement toutes inexistantes et/ou fermées) et le public (de plus en plus exigeant et averti).

4 Le festival Ecrans noirs occupe une grande place dans votre film. Pouvez-vous évoquer pour nous son histoire. Quel est son retentissement en Afrique ?
Alphonse Ntep : Tout à fait… Quoiqu’on dise, on ne saurait parler d’un rayonnement du cinéma en Afrique centrale sans évoquer le groupe nominal « ECRANS NOIRS ».
Le festival Ecrans Noirs a été créé par la société Les Films Terre Africaine (du réalisateur camerounais Bassek Ba Kobhio)qui a financé ses premières années d’existence avec le soutien de l’Agence de Coopération Culturelle et Technique(ACCT), etc… Sa première édition s’est ténue en 1997… Son but étant de valoriser « les cinémas d’Afrique et Monde Noir ». Il devient en 2008 un festival compétitif mettant en exergue de nombreux prix et talents… Près de 10 ans après sa première édition, l’Association Ecrans Noirs verra le jour pour la bonne gestion du festival. De plus en plus, le festival écrans noirs a cessé d’être une affaire unipersonnelle pour devenir une affaire collective. C’est ainsi que s’est développé le festival et l’association Ecrans Noirs…
En décembre 2019, il est classé 7e parmi le TOP 10 des festivals de cinéma en Afrique par l’Association Royale de la Presse Nord Sud. Il devient donc l’évènement cinématographique le plus important d’Afrique Centrale.
5 Comment êtes-vous devenu cinéaste ? Quel est votre itinéraire personnel dans le cinéma ?
Alphonse Ntep : Il faut dire que je n’étais pas prédestiné à être cinéaste. Dès l’âge de 10 ans, je rêvais d’être écrivain. Des circonstances m’ont conduit à étudier les sciences humaines. Ce n’est qu’en 2015, lorsque j’entrais en 3e année géographie physique que j’ai véritablement commencé à m’intéresser aux métiers du cinéma. Passionné d’actorat, mais piètre comédien, je tournais dans les rues de Yaoundé quelques vidéos amateurs que l’on visionnait entre potes croyant faire du cinéma.
Ce n’est qu’en 2017 que j’ai la chance de participer à deux ateliers de formations notamment en scénario et réalisation cinéma… Sous l’encadrement de Mohamed Arious (Scénariste Marocain) et Serge Alain Noa (Scénariste et Réalisateur Camerounais).
Pour moi c’était déjà un bon départ… Jusqu’à ce que je fasse également la connaissance de Robert Lombaerts (Journaliste et Cinéaste Belge) qui décide de partager avec moi à distance son expérience. Je ne prétendrais donc pas avoir fait des études supérieures en cinéma ou autres… Je me considère avant tout comme un autodidacte.
La même année, je participe au projet de film court métrage « NYANGONO » de Marc Anda en qualité de premier assistant réalisateur.
L’an qui suivait, 2018, j’ai été pendant six mois, assistant réalisateur stagiaire à la société de production Les Films Terre Africaine.
Je réalise la même année mon premier court métrage « SURPRISE » qui a reçu un excellent accueil au Cameroun et en Europe ce qui m’a valu la reconnaissance de l’Etat du Cameroun en qualité d’artiste cinéaste.
Par la suite, je m’essaie à une pratique : la critique cinématographique. Essai qui s’est soldé par la parution de plusieurs articles sur le cinéma en Afrique lorsque j’étais Correspondant de l’Association Royale de la Presse Nord Sud pôle Afrique (Bureau de liaison Bruxelles), rubrique cinéma.
En 2020, durant sa 24e édition, je suis convoqué par l’Association Ecrans Noirs pour siéger au plus haut niveau dans le comité de visionnage et de sélection des films pour l’évènement cinématographique voire artistique le plus important d’Afrique Centrale, le festival Ecrans Noirs.

6 Quels sont vos projets actuels ? Avez-vous un film en préparation ou en cours de réalisation ?
Alphonse Ntep : J’ai un projet en développement sur lequel je consacre une partie de mon temps. La réécriture du scénario de mon projet de premier long métrage de fiction intitulé « KENGBA », une adaptation de mon ouvrage. En espérant trouver, les moyens et les bons collaborateurs pour sa réalisation… Mais bon, ça c’est pour plus tard…
Le court métrage, indispensable école dans le parcours des longs… J’ambitionne réaliser encore un ou deux courts en dehors des deux déjà réalisés.
Des scénarii existent déjà et pour certain avec une carrière à l’instar de mon projet de court métrage « CLAP » sélectionné à la résidence d’écriture scénaristique durant festival international des films de femmes de Salé au Maroc en 2017.
Donc, il serait possible que dans les prochains mois, je réalise un prochain court métrage de fiction.
7 Quels sont les cinéastes africains qui vous ont influencé ? Et dans le cinéma mondial, quels sont ceux que vous admirez ?
Alphonse Ntep : En parlant des cinéastes en Afrique qui m’ont d’une manière ou d’une autre influencé, il y’a le très célèbre écrivain et cinéaste sénégalais ; j’ai nommé Sembène Ousmane. Je n’ai peut-être pas eu la chance de le connaitre personnellement ou même de le rencontrer car il décède alors que je n’étais qu’un gamin en 2007 (je devais être en classe de 6e cette année-là). Mais, je m’intéressais fortement à la littérature… C’est comme ça je me suis frotté à la lecture de certains ouvrages tel que « O PAYS, DE MON BEAU PEUPLE », l’un de ses ouvrages(le vadémécum de mon feu grand père).
Naïvement, je ne savais pas qu’on pouvait être écrivain et faire autre chose, en occurrence le cinéma. Plus tard j’ai eu le privilège de découvrir pour la toute première fois un film en salle. C’était « MOOLAADE » de Sembene Ousmane… J’avais été captivé par l’une des thématiques qu’abordait le film (l’excision) car on en parlait déjà dans nos programmes scolaires à cette époque-là.
En dehors du grand Sembène, j’ai beaucoup été marqué par Fadil Chouika, réalisateur marocain pour son film « LA MAIN GAUCHE » et son excellent travail de direction photo. En toute honnêteté, c’est un court métrage que je peux visionner n fois sans me fatiguer pour l’originalité du sujet, l’accroche, sa technique mais également pour son excellente création musicale…
Pour ce qui est du cinéma mondial, j’ai beaucoup d’admiration pour James Cameron avec ses films tels que « TITANIC » et « ALITA : BATTLE ANGEL » pour lequel il est producteur et coscénariste. Mais aussi Luc Besson, waouh… pour son film « ANNA ».
8 Comment voyez-vous l’avenir du cinéma en Afrique ? Etes-vous optimiste ?
Alphonse Ntep : L’Afrique c’est l’avenir !!! Et le cinéma en Afrique a de beaux jours devant lui. Ce qui manque, c’est vraiment la professionnalisation dont-on a besoin pour assurer véritablement une production internationalement reconnue. Même si certains efforts sont faits, cela se voit à travers des films comme « LA NUIT DES ROIS » de Philippe Lacôte (Côte d’Ivoire), « BENDSKINS » de Narcisse Wandji (Cameroun)… Mais, il faut penser à pérenniser une telle mouvance… A travers la coproduction Sud-Sud, pas seulement pour la qualité des films mais aussi pour faire plus de films parce qu’il y a de moins en moins de guichets mais aussi la formation.
Des écoles existent, mais parlant des écoles professionnelles, pas beaucoup. On connait celles de l’Afrique du Sud, du Maroc, du Ghana, du Burkina Faso, du Bénin… Mais, des écoles un peu partout.
Au Cameroun en particulier, nous travaillons sur Création d’une Fédération des cinéastes. Au niveau de l’enseignement supérieur, on note la création des cycles licence et master professionnels en cinéma dans certains instituts privés sous la tutelle des universités d’Etat… En plus, depuis trois années, on a annoncé l’introduction de l’enseignement du cinéma dans les programmes du secondaire. On espère que cela sera effectif très bientôt.
A travers de telles initiatives, on peut se dire que les autorités s’engagent désormais dans la lutte pour le développement durable d’une culture cinématographique dans la sous-région Afrique Centrale. Il y a donc en réalité une compréhension des acteurs de l’image et des autorités sur la question essentielle : l’Afrique a besoin de ses propres images.
