P COMME PÊCHE – Afrique

Poisson d’or, poisson Africain. Thomas Grand et Moussa Diop, Sénégal, 2018, 60 minutes.

Du poisson. Beaucoup de poisson. Des montagnes de poissons. Comme si la côte, le port, la ville étaient ensevelis sous le poisson. Toute une région qui ne vit que par le poisson, pour le poisson.

Nous sommes à Kafountine, en Casamance au sud du Sénégal, un port dont la prospérité attire les travailleurs des quatre coins de l’Afrique. Ils viennent de Guinée, du Burkina, du Mali, de Côte d’Ivoire…Même s’ils savent que le travail est dur et qu’ils ne pourront sans doute pas rester là indéfiniment. Mais ils peuvent gagner là de quoi envoyer de l’argent à leur famille. Alors ils ne se plaignent pas.

Le film de Thomas Grand et Moussa Diop nous plonge au cœur de ce monde, de cette région où le drame n’est jamais loin. Ils décrivent la situation des pêcheurs avec une grande précision, mais sans pathos. Ils filment ce travail, auquel ils s’accrochent sans se laisser aller au désespoir. Un cri silencieux qui n’en est que plus percutant.

Les images sont saisissantes, même si les cinéastes ne recherchent pas le spectaculaire à tout prix. Dans les pirogues où les pêcheurs, chantant en chœur, déploient toute leur force pour hisser les lourds filets à bord et déverser les poissons. Au port, sur la plage, lorsque les immenses vagues soulèvent les pirogues et les porteurs qui viennent prendre le poisson dans les caisses qu’ils portent sur leur tête. Dans la ville elle-même où ces mêmes porteurs acheminent leur charge au petit trop. Une agitation filmée comme une chorégraphie où aucun des acteurs ne semble fatigué. Ce qui n’est bien sûr qu’une illusion. Et puis Ils filment les fours construits pour fumer le poisson, et l’écran est envahi de fumée au point qu’on a du mal à respirer. La déforestation sauvage – pour trouver le bois nécessaire aux fours – laisse dans la brousse des espaces dénudés avec quelques souches des arbres coupés. Les femmes sont obligées de venir très tôt le matin pour espérer trouver une place dans le décorticage du poisson. Peu nombreux sont ceux ou celles qui parviennent à s’enrichir quelque peu. Mais tous travaillent sans répit, sans repos.

Il est rare de voir un film d’une telle puissance d’évocation. Si des entretiens nous permettent de nous rapprocher des cas particuliers, c’est bien plutôt une vision collective qui domine. Tous ces hommes et toutes ces femmes, pour différentes que soient leur origine et leur histoire, vivent la même domination de ce poisson et du travail qu’il impose.

Et l’avenir ? Un épilogue décrit la catastrophe tant redoutée. L’implantation à Kafountine d’usines de farine de poisson, modifie radicalement le contexte économique de la région. Ce sont des milliers de travailleurs qui se retrouvent sans ressources. C’est toute une partie de l’Afrique qui se voient privée d’une partie de leur alimentation, les poissons transformés (fumés ou séchés…) Car les farine sont expédiées en Asie, en Europe et même en Amérique. Les africains ne retirent plus de bénéfice du poisson qu’ils pêchent.

Les images du film ont perdu leur éclat. La ville n’offre plus qu’un spectacle de désolation.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

3 commentaires

Laisser un commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :