P COMME PROCÈS – Stalinien.

Le procès – Prague 1952. Ruth Zilberman, France, 2021, 70 minutes.

En 2017 Ruth Zylberman nous ravisait avec un film à nul autre pareil, par sa subtilité et son pouvoir d’émotion. Même si les films sur l’occupation allemand pendant la seconde guerre mondiale ne sont pas rares (on se souvient bien sûr du Chagrin et la pitié de Marcel Ophuls, entre autres), Les Enfants du 209, rue Saint-Maur, Paris Xe restera un modèle dans l’approche d’une période historique, évoquée à partir du vécu de petites gens qui furent souvent des victimes plutôt que des complices et qui, sans actions d’éclats, pouvaient résister à leur façon, en cachant des enfants juifs par exemple.

Autant dire que nous abordions ce Procès avec un préjugé plutôt favorable.

Sommes-nous déçus ? Oui et non.

Il faut bien reconnaître que la dictature stalinienne, telle qu’elle sévissait dans les pays « satellites » – la Tchécoslovaquie en l’occurrence – n’est pas vraiment d’actualité. A-t-on encore quelque chose à apprendre à son sujet ? Et sur les procès, de Prague comme de Moscou ? Avons-nous oublié Arthur London – et l’Aveu de Costa-Gravas ? Ou même Le Procès de Sergueï Loznitsa, film de 2018 démontant le mécanisme d’une purge stalinienne en 1930. Et pourtant…

La découverte en 2018 des bobines contenant les images du procès de Prague de 1952, où des dignitaires du régime communiste étaient accusés de trahison, justifie pleinement que l’on se penche à nouveau sur cette période tragique et révoltante. Les images des accusés venant à tour de rôle reconnaître leur culpabilité devant le tribunal valaient bien à elles seules un film. La force des archives a rarement été aussi grande. La tonalité de la voix, la moindre hésitation, même minime, en disent plus que tous les commentaires imaginables.

Le grand mérite de Ruth Zylberman c’est d’avoir su intégrer ces images dans un processus leur donnant toute leur place, les mettant au premier plan bien sûr, mais en regard avec l’avant et l’après du procès lui-même. L’avant c’est l’histoire de ce pays, le Tchécoslovaquie, qui n’existe plus aujourd’hui, et de son appartenance au blog soviétique. L’après, c’est le devenir des familles des accusés, ceux qui ont été exécutés ainsi que des trois survivants qui ont échappés à la peine capitale. Les entretiens réalisés par la cinéaste avec leurs enfants ont une grande valeur cinématographique, et historique.  

Et puis le film met parfaitement en lumière le mécanisme infernal de l’accusation, de l’arrestation à la détention qui, avec ses conditions inhumaines – une torture incessante – brise toute possibilité de défense et de résistance chez ces victimes d’une mise ne scène, orchestrée depuis Moscou, qui les dépasse entièrement. Sont-ils vraiment convaincus en eux-mêmes, de leur culpabilité ? Au moment où il leur est demandé de s’accuser devant le tribunal, certainement. A l’évidence ils ne sont plus eux-mêmes.

Un grand film d’histoire.

FIPADOC 2022, Biarritz.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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