YARMOUK ASSIEGE

Little Palestine, journal d’un siège., Abdallah Al-Khatib, Liban, France, Qatar, 2021, 83 min.

Yarmouk, le plus grand camp de réfugiés Palestiniens, dans la banlieue de Damas. Un camp que nous avons découvert dans le film du regretté Axel Salvatori-Sinz, Les Chebabs de Yarmouk, en 2013. Ce film filmait, le plus souvent sur les terrasses de cette ville-camp, un groupe de jeunes exilés palestiniens de la troisième génération, les « Chebabs », qui n’ont jamais vécu en Palestine, qui ne connaissent pas ce pays qu’ils considèrent pourtant toujours comme leur pays, même s’ils ont perdu tout espoir de pouvoir aller y vivre un jour. Nous étions avant le déclenchement de la guerre civile en Syrie.

Conséquence brutale de cette guerre, le siège de Yarmouk qui cache mal la volonté du régime de Bachar El Hassad d’exterminer les Palestiniens sur le sol Syriens. Ils sont donc là, avec des enfants – beaucoup d’enfants – des femmes, des vieillards, les milliers d’habitants du camp qui n’ont plus aucun autre lieu où aller, tous pris au piège de l’enfermement dans cette prison à ciel ouvert dont les immeubles commencent à s’écrouler sous les bombes lâchées par des avions ou des hélicoptères. Un état de siège, comme le dit la voix off du réalisateur, où la mort est omniprésente, une mort de faim pour les plus fragiles, les personnes âgées surtout, mais aussi les bébés lorsque la malnutrition de leur mère tarie leur lait. Un film qui est donc un cri de souffrance avant même d’être un cri de révolte.

Abdallah Al-Khatib, est lui-même Palestinien, habitant de Yarmouk. Rien ne le prédestiné à devenir cinéaste. Mais la situation de plus en plus désespérée du camp -une véritable catastrophe humanitaire – ne pouvait que le pousser à témoigner. Il filme donc au jour le jour, dans ce journal intime, oùil ne reste plus aucune place pour le moindre espoir. Il n’y a plus rien à manger, plus de médicaments non plus. L’eau est rare. Et les distributions de paquets de survie par l’ONU ne peuvent apporter une aide passagère qu’à quelques-uns.

La plus grande partie du film montre la recherche désespérée de tous d’un peu de nourriture. S’il n’y a plus que des herbes sauvages à manger, alors on mange des herbes sauvages. Une séquence vers la fin du film est dans ce cadre tout à fait remarquable. Le cinéaste dialogue avec une petite fille qui ramasse des herbes dans une sorte de pré perdu entre des ruines d’immeubles. On entend en fond sonore des éclats de bombes. « Tu n’as pas peur » demande le cinéaste. »Je suis habituée » répond l’enfant. Rien ne semble pouvoir perturber son travail minutieux, cueillir les herbes, couper les racines, mettre la récolte dans un sac en plastique, tout en grignotant par moment un petit bouquet. Pourtant, une bombe qui explose plus près, avec un bruit assourdissant, la fait se retourner vers les façades des immeubles qui menacent de s’écrouler. On sent que c’est le cinéaste le moins rassuré des deux. Il lui faut, elle, ramener à la maison la mince nourriture qu’elle aura rassemblée pour essayer de calmer la faim de ses nombreux frères et sœurs.

Parmi ce peuple filmé au plus près, souvent en plongée dans les rues depuis un des immeubles plus ou moins en ruine, le cinéaste s’arrête par moment sur une femme médecin qui distribue à une vieille femme quelques-unes de ses dernières pilules pour ne pas interrompre totalement son traitement contre la tension. Ou bien au cœur d’un attroupement autour de grands chaudrons où de la poudre transforme de l’eau bouillante en un semblant de soupe. Mais ce sont les enfants qui retiennent le plus souvent son attention. Des enfants qui semblent ne pas souffrir. Ils gardent le sourire devant la caméra, même si on sent bien qu’ils ont de moins en moins la force de jouer.

Parmi tous les films qui montrent le martyre du peuple palestiniens, à Gaza sous les bombes en particulier, Little Palestine est sans doute celui où la souffrance est la plus extrême et le sort des Palestiniens le plus dramatique, et le plus inacceptable. Un panneau final indique que Yarmouk a été totalement détruit en 2018 et ses habitants dispersés dans le monde entier, sans que l’on ne sache ni comment, ni où exactement. Qui s’en soucierait vraiment dans le monde, s’il n’y avait ce film pour nous rappeler leur existence ?

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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