Poulet frites. Jean Libon, Yves Hinant, 2022, 100 minutes.
Dans la foulée du magazine télévisé belge, Strip tease, que l’on ne présente plus, le tandem Jean Libon – Yves Hinant avait réalisé un premier film, Ni juge ni soumise, particulièrement décapant grâce au personnage de cette juge hors norme mettant à mal tous les lieux communs et les idées reçues qui peuvent circuler sur le compte de la justice. Avec Poulet frites nous changeons de registre. Le film ne se démarque pas du plus grand sérieux. Une enquête policière que nous suivons de A à Z, dans tous les plus petits détails, même les plus insignifiants, et pourtant, qu’il est impératif de ne pas ignorer.

Le meurtre est celui d’une femme, égorgée à l’aide d’un couteau à pain ! Ça ne s’invente pas. Dès le premier plan nous sommes introduits dans le vif du sujet. Dans la chambre de la victime, l’équipe scientifique relève le moindre élément pouvant devenir un indice. Puis nous suivons l’interrogatoire du suspect numéro un, l’amant de la victime, un pauvre type qui a passé une bonne partie de sa vie en prison et qui en est sorti addicte à la drogue. Le coupable idéal ? D’autant plus que sa mémoire lui joue des tours et qu’il peine à expliquer les coïncidences troublantes de son emploi du temps le soir du meurtre.

Le film met en évidence l’art de l’interrogatoire du commissaire qui est bien plus le personnage principal que le suspect ou la juge d’instruction. Ses questions sont précises, fermes, mais jamais agressives. Toujours sut le même ton, il répète, insiste, mais sans violence. Et lorsque le suspect est en difficulté, il n’en profite pas pour lui régler son compte. Bref, un travail des plus rigoureux, mais qui reste humain avant tout. On ne peut pas dire que le commissaire éprouve une certaine sympathie envers le, suspect. Et si au début le spectateur doit bien éprouver une sorte de dégout devant ce crime affreux, petit à petit, en suivant le déroulement de l’enquête, il n’apparaît plus vraiment comme un personnage monstrueux et l’on finit même par croire à sa sincérité.

Nous ne reprendrons pas ici tous les fils de l’enquête. Une enquête passablement tortueuse, au point que sa cohérence est rarement évidente. Mais justement, tout le travail du commissaire consiste à suivre toutes les pistes, mêmes les plus anodines, même les plus invraisemblables. Nous sommes donc souvent perdus dans des impasses et du point de vue du spectateur, les rebondissements qui remettent tous les acquis en cause ne sautent pas aux yeux du premier coup. Car bien sûr – n’est-ce pas une loi du genre – le suspect va finir par se révéler un faux coupable et le film ne renonce pas à jouer à fond le registre du suspens. La nouvelle piste est des plus tortueuses. Mais nous nous acheminons immanquablement vers un dénouement heureux pour notre suspect.

Toute l’originalité du film est d’être un documentaire – nous sommes bien dans le réel – qui réussit à être aussi palpitant et aussi passionnant que les meilleurs films noirs de la grande époque. Le filmage est particulièrement efficace : des gros plans inévitables dans des pièces exiguës, la chambre de la victime ou même le bureau du commissaire. Mais on n’insiste jamais sur le visage du suspect, évitant par là tout voyeurisme déplacé. Le noir et blanc – qui va de soi – est particulièrement travaillé, mais dans les escaliers d’immeubles sordides ou dans les couloirs du commissariat, le chef op ne recherche nullement des effets d’ombre et de lumière. Et dans les avenues de Bruxelles, les passages des trams nous permettent un peu de respirer.

La justice et la police, malgré leurs différences, les deux films de Jean Libon et Yves Hinant se correspondent et pourraient bien avoir épuiser le filon. Un troisième opus ne peut alors que nous surprendre.
