Jeans brésiliens.

En attendant le carnaval. Marcelo Gomes, Brésil, 2019, 86 minutes.

Dans le Nordeste, une des régions la plus pauvre du Brésil souvent frappée par la sécheresse, une ville s’est teinte en bleu : Toritama, l’autoproclamée Capitale mondiale du jean ! Et des jeans il y en a en effet partout dans cette petite ville de 40 000 habitants. La moindre pièce des maisons, la plus petite grange, dans les cours et même sur les trottoirs. On coupe, on coud, on teint, on brosse le tissu bleu. Il suffit d’une machine à coudre et du fil. Et comme il y a là un moyen de vaincre la pauvreté, aucune hésitation. D’autant plus qu’on peut être son propre patron. Alors tout le monde s’y met. Et plus on travaille, plus on gagne d’argent. Souvent dès 5 heure du matin, jusque tard le soir où il ne reste plus qu’a aller dormir pour réparer la fatigue. Heureusement il reste le carnaval comme distraction. Une fois par an.

Le réalisateur, Marcelo Gomes, connaissait bien Toritama, dans son enfance, avant l’invasion du jean. Quelque peu stupéfait par la nouvelle vie locale, il filme les jeans, il filme en longs travellings les enfilades de machines à coudre dans les ateliers improvisés ; il filme les gestes répétitifs, les visages recouverts de sueur et les gestes stéréotypés. Nous sommes plongés au cœur de la forme la plus archaïque du travail aliéné – sauf qu’ici il n’y a pas vraiment de chaîne, et l’on n’a pas l’impression d’avoir affaire à une classe ouvrière.

Les déclarations à la caméra de ces travailleur.se.s qui se veulent indépendant.e.s vont toutes dans le même sens. Le jean c’est de l’argent. Et l’argent gouverne le monde. Rares sont ceux qui résistent au système. Il y a bien un dernier berger dont le troupeau de chèvres est comme perdu au milieu du flot de motos, de camionnettes et même de charrettes surchargées de pantalons. Et en dehors d’un marginal un peu rêveur, personne ne prononce la moindre critique sur sa vie. Certains se prennent même pour des artistes parce qu’ils ont mis sur le marché un nouveau modèle, utilisé une nouvelle couleur ou une machine au laser pour délaver le tissu ou le trouer au niveau des jambes et des cuisses. Bref, la ville est plongée dans un capitalisme frénétique, comme il n’en existe plus guère dans les pays occidentaux, ou alors en Chine sous une forme beaucoup plus systématisée. Ici, c’est encore le règne de l’individualisme. Et l’argent gagné ne semble pas faire l’objet d’investissements pour créer des entreprises toujours plus grosses.

Et le carnaval dans tout ça ? Comme les habitants de Toritama, nous l’attendons. Tout le film. Mais le réalisateur évite les clichés et les images convenues. Du carnaval il ne nous propose qu’une courte séquence où un groupe de personnages masqués dansent dans la rue. Pour le reste, nous retrouvons les fabricants de jeans à la plage pour un moment de détente dans les vagues. Il a fallu attendre une année pour vivre cette courte parenthèse dans une vie de dur labeur. Pour pouvoir venir ici, il a fallu vendre quelques biens, qui un frigo, qui un téléviseur. Mais en travaillant sans plus d’interruption l’année suivante, ils peuvent espérer les racheter. Et tant que les jeans se vendent – et il n’y a pas de raison qu’il n’en soit plus ainsi – la vie est belle. Et puisque Toritama produit chaque année quelques 20 millions de pièces, tout est permis. La fortune est à portée de mains.

Diffusé par Tënk.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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