LE COUPLE DREYFUS.

Alfred et Lucie Dreyfus, je t’embrasse comme je t’aime. Delphine Morel, 2021, 56 minutes.

Faire un film aujourd’hui sur l’affaire Dreyfus – comme pour tous les événements historiques déterminants et abondamment traité au cinéma – demande de trouver un angle d’attaque original qui, sans forcément renouveler de fond en comble notre connaissance de l’affaire et de son époque, apporterait quand même une dimension cognitive plus approfondie ou spécifique. Il est sans doute encore possible de trouver des archives inédites ou peu connues. Mais tout miser sur les archives est relativement risqué. Le risque étant que leur originalité ne parle qu’aux spécialistes ou que leur attrait reste limité dans le temps, l’inédit étant souvent éphémère.

Pourtant le film de Delphine Morel a son premier intérêt au niveau des archives utilisées, archives qui peuvent être déjà connues, mais qui donnent lieu ici à un point de vue original. Il s’agit en effet d’aborder l’affaire à partir de la relation amoureuse entre Alfred et sa femme Lucie, c’est-à-dire de l’intérieure même de la vie et des sentiments des principaux intéressés. Cela est possible grâce à la très nombreuse correspondance – des lettres si émouvantes – échangée lors de l’incarcération d’Alfred avant son procès et ensuite, après sa condamnation, au bagne de Cayenne.

Ces lettres sont d’abord des lettres d’amour. Un amour indestructible qui permet au couple de traverser cette épreuve terrible. Mais au-delà de son aspect intime, elles nous disent beaucoup de choses sur la personnalité des deux personnages et leur réaction à l’injustice. Elles nous permettent aussi de nous plonger très concrètement dans la politique du gouvernement la censure en particulier exercée par les ministères de la guerre et celui des colonies. Beaucoup de lettres d’Alfred n’arrivent pas à Lucie. Et les siennes sont souvent recopiées avec des modifications de vocabulaire et de syntaxe. Ces lettres comportent-elles des indications codées pouvant permettre l’évasion de Dreyfus ? Les autorités en sont convaincues, ce qui entraine une escalade dans la dureté des conditions de détention d’Alfred.

A côté des lettres échangées par le couple, les archives recèlent aussi une importante correspondance d’Alfred avec le reste de sa famille et en particulier avec son frère qui se démènera tant et plus pour prouver son innocence. Et c’est ainsi que la réalisatrice peut nous faire vivre les différents rebondissements de l’affaire, des conseils de guerre, d e la découverte d’un possible coupable et du procès qui l’innocentera provisoirement, en passant par la bien connue lettre de Zola. Dans les arcanes de ces remous, Delphine Morel insiste sur l’antisémitisme ambiant, la judaïté d’Alfred apparaissant peu, voire pas du tout, dans les lettres à Lucie. Pourtant, le film s’oriente peu à peu vers la conclusion – peu surprenante au demeurant vue du XXI° siècle – que c’est bien parce que Dreyfus était juif, qu’il a été condamné de façon expéditive et sans grande preuve. Le film ne fait pas le procès de l’armée, mais bien des éléments qu’il présente pourraient très bien être utilisés comme pièces à charge.

Un film d’histoire émouvant qui nous fait entre dans le cœur de Dreyfus, son amour pour sa femme, mais aussi de la justice et de la liberté.

Festival International du Film d’Histoire. Pessac 2022

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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