Entretien avec Delphine MOREL et Juliette CAZANAVE

A propos de Alfred et Lucie Dreyfus. Je t’embrasse comme je t’aime.

Comment avez-vous eu l’idée de faire un film sur l’affaire Dreyfus.

 Delphine Morel. En fait il y a eu plusieurs choses. Je passais souvent boulevard Raspail, pendant des années, à un arrêt de bus et j’étais juste devant la statue du capitaine. C’est une première chose. Pendant des années, j’attendais le bus devant cette statue. Pendant des années je n’ai pas regardé la statue. Et puis un soir je l’ai regardée. C’est une statue assez incroyable. La matière est sculptée. C’est très tourmenté. Et puis il y a le sabre qui est cassé. Il a une toute petite tête. Il a quelque chose d’assez fragile, et à la fois de résistant qui se donne à voir dans cette statue.

Elle n’est pas dans le film…

Non. On l’a filmée mais on ne l’a pas montée.

Après, il y a eu le film de Roman Polanski qui se préparait. Et j’ai vu une fois de plus que Dreyfus ne serait pas l’objet du film. J’ai lu le résumé et j’ai pensé que ça allait être sur Dreyfus. Et j’ai eu une déception. Ça ne va pas être sur Dreyfus. Ça va être encore sur les défenseurs de Dreyfus. A partir de là je me suis dit je vais lire une bio. Je n’avais pas l’idée de faire un film. Je voulais juste savoir ce qui lui été arrivé. En fait j’ai commencé de lire la bio de Lucie Dreyfus, et pas d’Alfred, parce que je suis allée dans une bibliothèque et c’est cette bio là que j’ai trouvée. J’ai commencé à lire le bouquin d’Elisabeth Weissman que j’ai trouvé formidable et je l’ai appelée. Elle m’a dit qu’elle était d’accord pour participer. A partir de là on s’est vue. Elle connaissait la famille. Tout s’est enchainé à partir de là.

Juliette Cazanave. Pouvez-vous nous présenter Keppler22 productions, qui a produit le film de Delphine Morel

C’est une maison de production qui existe depuis 8 ans. On essaie de faire à la fois des films pour la télévision, mais avec un regard d’auteur, et des films purement d’auteur, c’est-à-dire des films qui ne sont pas spécialement destinés à la télévision mais plus aux festivals.

Ce qui m’a intéressé dans la proposition de Delphine, c’est qu’elle amenait un regard. L’affaire Dreyfus est très connue. Beaucoup de films ont été faits dessus. Et elle, elle arrivait avec un regard complètement différent, disant il faut raconter l’histoire depuis un tout autre point de vue, c’est-à-dire depuis l’intérieur. Je me suis dit c’est le moment de s’emparer autrement de cette histoire et d’en faire une histoire vive.

La production a été difficile ?

On a eu plutôt de la chance je dois dire. On a été bien accompagné par France Télévision et aussi par la Nouvelle Aquitaine, le ministère des armées. La Poste aussi qui nous a accompagné sur la question de correspondance.

 Et la diffusion ?

Delphine Morel. Le film a été diffusé en avril 2022. Il sera aussi diffusé sur TV5 ; Et il y aura des rediffusions sur France 5.

Et les festivals, en plus du Festival du film d’histoire de Pessac (où vous venez d’obtenir le Prix de la ville de Pessac).

Nous avons fait Luchon, en début d’année 2022 où nous avons eu deux prix. Le prix du public et le prix de l’originalité du sujet. Maintenant je pars en tournée en Corrèze, grâce à l’agence de diffusion de la région Aquitaine, l’Alca. On rayonne autour de Brive la Gaillarde.

Sur l’utilisation des archives, pensez-vous qu’on puisse faire un film d’histoire sans utiliser d’archives. Et comment avez-vous travaillé sur les archives, les lettres échangées par Alfred et Lucie sur lesquelles le film se fonde.

Je pense qu’on peut tout à fait faire un film d’histoire sans utiliser aucune archive. D’ailleurs Lanzmann l’a fait dans Shoah, et de manière magistrale. Pour moi, ici le travail sur l’archive était lié à l’expérience subjective. Il fallait qu’on travaille le rapport entre le texte et l’image. Qu’on travaille le rapport entre le texte des lettres et ce qui pouvait, en face, faire une sorte de lien presque inconscient entre le texte de la lettre et ce que les protagonistes pouvaient ressentir au moment où ils écrivaient. On a toujours travaillé dans ce sens-là, sur le lien subtil entre le texte et l’image.

Avez-vous des projets ?

Je ne suis engagée sur rien en fait. Je cherche. Je n’ai pas envie de me précipiter. J’ai fait deux films sur des histoires de couple. Avant celui sur Dreyfus, c’était Quand l’amour m’était chanté. Sur le couple Madelaine et Léo Ferré. Sur ces années si créatives sur le plan de la chanson. Comment ils ont élevé un singe. Comment ils ont poussé la démesure jusqu’à prendre ce singe comme un enfant. Et peu à peu à détruire toute leur vie de famille avec cet animal qui, une fois qu’il est arrivé à l’âge adulte se comporte plus comme un enfant. J’étais attiré par les couples d’exception, les expériences conjugales exceptionnelles. Maintenant j’ai envie de passer à des sujets un peu plus politiques. Je ne peux pas vous en dire plus pour le moment.

Vous travaillez toujours sur le documentaire. La fiction ne vous attire pas ?

J’en ai fait un peu pour la radio. J’aimerais bien, mais c’est une autre organisation de vie. J’aime l’artisanat, avec quelques personnes, construire un film de A à Z. Pour moi le documentaire, c’est un plus grand espace de liberté.

A lire :

La critique de Alfred et Lucie Dreyfus. Je t’embrasse comme je t’aime.

L’Abécédaire de Delphine Morel

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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