Avec les mots des autres. Antoine Dubos, 2020, 73 minutes.
Un film d’immersion. Dans une pièce dont nous ne sortons pratiquement pas. Une pièce mettant face à face un soignant (psychiatre, psychologue, infirmière) et un.e réfugié.e, un.e migrant, arrivé.e en France après un long et dangereux parcours et survivant ici, tant bien que mal, dans la plus grande précarité le plus souvent, dans la souffrance et la détresse. Qu’ils soient en attente de la réponse de leur demande d’asile ou qu’ils aient déjà reçu une réponse (les statistiques disent que le plus souvent elles sont négatives) ne change pas grand-chose, ils ont besoin de soins et l’Equipe Mobile Précarité et Psychiatrie (EMPP) qui a accepté de recevoir le cinéaste lors des consultations fait son possible pour leur venir en aide, les écouter d’abord et trouver les mots qui pourront les réconforter ne serait-ce qu’un peu. Un film de rencontre donc, d’écoute bienveillante et d’empathie.
Ils arrivent des quatre coins du monde où la guerre sévi, d’Afghanistan ou d’Éthiopie, n passant par le Kosovo et bien d’autres qui ne sont pas toujours mentionnés. Mais cette diversité passe bien derrière leurs points communs, leur souffrance et leur angoisse, qui se manifeste presque toujours par des troubles du sommeil et des cauchemars. Ce sont les récits de ces nuits agitées qui occupent la plus grande partie de leurs réponses aux questions des soignants. Plus en tout cas que le récit de la vie dans leur pays, des raisons qui les ont poussés à le fuir, et celui de cette fuite avec ses trous noirs, la Lybie et ses tortures, la méditerranée et ses naufrages. Il ne s’agit pas de préparer concrètement la présentation de son cas lors de l’audition devant les instances administratives, qui d’ailleurs semblent souvent, disent-ils, ne pas s’en préoccuper. Il s’agit plutôt de leur apporter une aide psychologique, ne serait-ce que par l’écoute plus que par la prescription de quelques calmants. Ces séances sont donc toujours chargées d’émotion, presque insupportables même, comme lorsque cette femme fond en larme et ne peut plus s’arrêter de sangloter. On peut avoir grès au cinéaste d’avoir visiblement réduit au montage la durée de cette séance et d’avoir évité. au cadrage les gros plans sur le visage de la femme. Mais c’est tout à son honneur d’avoir su donner à cette séquence une valeur d’authenticité indéniable.
Bien d’autres paroles des consultants sont tout aussi frappantes. Les récits des cauchemars en tout premier lieu. La communication n’est jamais très facile et la barrière de la langue subsiste malgré la présence d’un.e interprète, présent.e physiquement ou joint.e par téléphone. Le film montre bien la difficulté de leur travail mais aussi sa grande utilité. Malgré tous leurs efforts, les soignants utilisent souvent des expressions habituelles dans leur travail, mais difficiles à comprendre pour ceux qui viennent d’une autre culture. Heureusement, l’interprète ne se contente pas de traduire comme le ferait une machine. Leurs explications, même si elles modifient la parole première, ne sont jamais une trahison et on peut même penser que dans beaucoup de cas leurs interventions ont aussi une portée thérapeutique.
Ce film vise à éveiller la conscience des spectateurs sur les conditions de l’accueil des réfugiés en France et de la demande d’Asile. Il est à placer aux côtés des films indispensables sur la question que sont La Permanence d’Alice Diop, Les Arrivants de Claudine Boris et Patrice Ghagnard, et La Combattante de Camille Ponsin.