Marion STALENS – ENTRETIEN

Comment avez-vous découvert le cinéma ? est-ce que vous avez une formation particulière ? Et comme vous êtes-vous engagée dans votre premier film.

Je n’ai pas fait d’études de cinéma. J’étais plutôt littéraire, mais j’avais hésité à partir des études du lysée entre les études de lettres et les études de cinéma et je m’étais dit, le cinéma c’est un art, ça ne s’apprend pas, ce qui est stupide. J’ai appris sur le tas au final. J’ai eu un parcours assez long pour arriver à faire mon premier film, sans doute par manque de confiance en moi, de pas oser aller jusqu’au de mon rêve. Et aussi simplement parce que j’étais comédienne pendant une dizaine d’année et ensuite photographe, et ces deux métiers m’ont comblée. Mais j’avais quand même un endroit où je ne me sentais pas complètement épanouie. Je disais à l’époque que j’avais le sentiment de respirer avec un quart de poumon. Et puis j’étais amie avec Marie Trintignant, et un jour, on discutait cinéma, j’étais toujours passionnée par le cinéma, la fiction comme le documentaire d’ailleurs. Et puis elle me fit, on va faire des répétitions avec Jean-Louis son père, est-ce que ça te dirait de filmer les répétitions, juste pour garder les traces. J’ai dit oui évidemment. Tout de suite ça m’a paru une évidence alors que j’avais jamais tenu de caméra. Et puis j’ai commencé à filmer. Je lui ai dit en fait ce qui m’intéresserait ce serai de faire un portrait de vous dans le travail. Un portrait un peu inventif, un portrait sur le vif. J’ai montré quelques images à Canal. On a pris contact avec un producteur. C’était vraiment un apprentissage très rapide. Comme j’avais fait de la photo j’avais ce goût du cadre. Et puis je connaissais de l’intérieur ce métier de comédien. Tout ça a fait que j’y ai pris goût énormément et je me suis rendu compte en faisant ce premier film que c’était une drogue trop puissante pour ne pas recommencer. J’ai continué, les choses se sont enchainées. J’ai eu beaucoup de chance. Je vois beaucoup de gens autour de moi qui sont obligés d’avoir un métier à côté. Moi je suis né dans une famille, ma sœur est Juliette Binoche, mes parents metteurs en scènes. On a été baigné dans le théâtre et c’est logique que ma vie soit autour de ce monde-là. Très rapidement mon sentiment, en tant que photographe j’ai fait pas mal de portraits d’acteurs, mais à quoi bon ? Ils sont déjà dans la lumière, il y a plein de gens qui les photographient. J’avais le sentiment de ne pas être très utile. Très rapidement j’étais attiré pat les gens dans l’ombre, les gens à la marge ou ceux qui ne sont pas vus, avec l’ambition très humble de rapporter des rencontres humaines et de me sentir utile, sans illusion, mais tout de même, un peu plus de geste) ce geste de prendre une caméra.

J’ai le sentiment en regardant vos films que vous êtes une cinéaste engagée non pas au sens militant ; mais une cinéaste qui prend position. Ce n’est pas tout à fait la même chose. En particulier sur le problème des réfugiés et des sans-papiers. Est-ce que vous pensez que ça caractérise une partie de votre cinéma. Peut-être même les portrait que vous faites d’acteurs et d’actrices font partie aussi de ces prises de position. Comment voyez-vous le problème ?

En fait je pense que je puise à la fois dans le temps long de l’histoire de ma famille, ma mère est née en Pologne. Du côté de mon père il y a aussi beaucoup de voyages. Il y a la résonance aussi avec la question des réfugiés et du regard sur l’autre en général, les sans-papiers, les handicapés, tous les gens à la marge, les gens considérés comme fous… ce qui m’a toujours intéressée, en essayant de croiser ces routes, c’est d’avoir des rencontres humaines, à l’horizontal, de pas faire des films démonstratifs, ou de faire la leçon parce que j’ai pas de leçons à donner, mais juste de donner un visage à des questions qui sont souvent envisagées sous l’angle du chiffre ou de la peur et d’essayer d’incarner ces trajectoires, en donnant de la complexité, en ne peignant pas les gens comme victime, mais des gens debout, avec une profondeur. Les gens qui sont arrivés jusqu’ici ont souvent une ténacité, qui sont exceptionnels parce qu’il faut beaucoup de force pour faire ce qu’ils font. Cela sur la question des réfugiés, mais j’ai aussi fait un film (je crois pas qu’il soit dans votre abécédaire) que j’aime beaucoup. Il s’appelle Les Acteurs singuliers, des gens fous en fait qui font du théâtre. C’est un endroit où il y a à la fois une dimension artistique et un regard porté sur des gens qu’on regarde pas de haut, qui sont à la marge, c’est un endroit, je l’ai pas décidé, mais je m’aperçois qu’il y a toujours une dimension artistique, parce que lorsqu’on s’approche, la créativité elle s’exprime de mille façons mais ça me plait de raconter qu’il y a de la créativité chez tout le monde. Je repense par exemple à ce portrait d’une vieille dame qui s’est mise à peindre à 70 ans ou ces fous qui font du théâtre. Et dans mon dernier film, de montrer ces gens qu’on ne sait pas voir. Mais ils savent des poèmes par cœur. Ils sont tout un monde. Ça me touche. Ils sont à la croisée de l’envie de montrer ceux qui sont pas vus et cette dimension artistique qui me touche parce que c’est de la beauté. C’est l’expression souvent d’un regard, d’une sensibilité que j’ai envie d’approcher, les différences, quelque chose d’unique en chacun. Oui, c’est engagé, dans la rencontre.

Pour parler de votre dernier film diffusé, Réparer la terre, réparer les hommes, vous pouvez retracer son itinéraire. Ce que j’appelle itinéraire c’est de partir de la conception la première idée, le déclencheur…et puis après il y a tout le travail, la production, le tournage, etc. pour arriver à la diffusion.

Je parlais avec une amie qui est très concernée par les questions écologiques depuis longtemps. Elle m’a raconté cet endroit, ce projet et cette association. Ça m’a tout de suite donné envie de me pencher dessus. Je suis allée faire des repérages. J’ai rencontré Stéphane qui s’occupe de ce projet. On a mis un peu la charrue avant les bœufs. Il n’y avait pas encore de chaîne. On a commencé à écrire avec Alice Leroy, qui est pas du tout réalisatrice mais qui m’avait parlé de ce projet. Elle, elle était plutôt sur la dimension systémique, économique et moi ce qui m’intéressait je lui ai dit c’est la rencontre humaine. Ce qui m’a touché très vite c’est pour une fois de ne pas opposer les questions écologiques et les questions sociales et montrer que dans un même geste on pouvait monter des projets où les choses pouvaient se renforcer au lieu de s’anéantir. Parfois on a tendance à dire que les personnes qui vont le plus payer par rapport au dérèglement climatiques vont être les moins favorisés. Donc j’ai tourné sans argent. J’ai tourné longtemps. Puis le covid est arrivé. J’ai continué. La production m’a dit il faut arrêter là. On est trop au cœur de ce qui me concerne aujourd’hui, il est impossible d’arrêter. Je faisais tout moi-même, le cadre, le son. Pour l’écriture j’ai beaucoup creusé à partir de ce que j’observais sur le terrain et là j’étais seule. Et puis il y a une chaîne qui est arrivé, mais tardivement, Public Sénat. Il n’y avait pas beaucoup d’argent. Du coup, comme souvent pour la plupart de mes films, tous même sauf très ponctuellement, j’ai cadré. Parce que j’aime ça. Parce qu’il y a quelque chose d’immédiat dans cette idée de rencontre. J’aime tenir la caméra. Je trouve qu’il y a quelque chose qui s’offre de plus immédiat. Et aussi je suis en position de fragilité et du coup je suis plus à égalité avec les gens. C’est une relation qui est plus juste que d’arriver avec une grosse équipe.

Oui, c’est l’aspect positif du documentaire de pouvoir faire ça.

Du coup j’ai pris le temps. J’avais prévu un an mais le covid a fait que ça a duré deux ans. Je me suis retrouvé avec beaucoup d’heures de rush même si j’ai essayé de me freiner, de ne pas me noyer. J’ai monté le film seule, il n’y avait tellement pas d’argent. C’était la première fois que je montais un film seule. J’avais heureusement une personne qui est venue quelque fois porter un regard avec un peu de distance. Je me suis beaucoup attachée aux gens. C’était pas toujours évident de décider que tel ou tel personnage allait passer au second plan ou être dans tout le film. Ce n’était vraiment pas facile. J’étais parti dans l’idée de raconter une histoire formidable et un peu utopique. En réalité j’ai déchanté. Il t avait tellement d’obstacles. Et finalement cette terre n’est pas réparée, les poisons sont encore là. On peut s’en prémunir et surtout la transformer mais sur un temps très long. J’avais pas du tout envie de raconter une histoire hop tout le monde va bien, hop tout le monde trouve du travail0 Non, les gens sont là avec leurs histoires. Ils ont besoin de les raconter. Et ça nous enrichi aussi d’entendre la complexité du réel.

Il y a quand même une certaine teneur optimiste dans l’ensemble du film.

Oui, tout à fait. Je crois j’ai toujours envie que mes films donnent de l’élan. Si on repart d’un film en ayant compris de choses, peut-être pas faciles, mais qu’on reparte avec notre moteur intérieur un peu nourri. Moi ce que j’attends des films c’est qu’en sortant on ait envie de danser, de mordre la vie et de regarder autrement les choses. C’est une espèce de réflexe contre lequel j’ai du mal à lutter.

Il y a une grande réussite du film, même s’il reste des problèmes, mais ce qu’il nous dit c’est : il est possible de réussir.

Ici ce ne sont pas des sans-papiers, ils ont forcément leurs papiers. Quand on donne leurs papiers aux gens, quand on leur donne la possibilité, alors ils peuvent contribuer à mille choses, et entre autres à résoudre des questions liées à la terre. Ils sont souvent issus de familles où la terre est un lieu familier. Ils ont un savoir. Au-delà d’un savoir, un savoir-faire. Ils ont un savoir-être aussi. Ils respectent la nature parce qu’ils ont une autre culture. Il n’y a pas de miracle, mais il y a du possible.

Est-ce que ce film aura une deuxième vie après son passage sut Public Sénat ?

J’espère. Je trouve que c’est un film qui peut susciter des débats. Peut-être faire des petits. Il y a pleins d’endroits pollués. Il y a beaucoup de gens qui sont issus de ces trajectoires et qui ont l’amour de la terre et un savoir faire qui peut contribuer à redonner vie à des terres abimées. Bref, ça peut faire modèle. J’aimerais beaucoup. Mais le problème, c’est que si j’arrive à vivre de ce métier c’est que je suis déjà partie sur un autre projet. Si je me consacre à faire vivre le film, je l‘accompagne mais je ne peux pas m’occuper de tout. J’ai dû enchaîner immédiatement. J’ai confiance en cette production qui est très bien. C’est un peu tôt encore, mais j’espère bien qu’il aura une vie en festival. C’est aussi une autre façon pour faire vivre les films, et de continuer l’échange. Mais c’est difficile ce métier. On voudrait pouvoir s’arrêter. Le voir grandir comme un enfant, le porter plus loin. Déjà qu(il ait été diffusé à la télévision c’est super, mais bon, Public Sénat n’a pas une couverture médiatique très forte.

2023 a été décrétée année du documentaire par le CNC, il y aura sûrement des tas de possibilités nouvelles.

Je ne savais pas. C’est formidable. Peut-être que ça signifie concrètement pour nous que les films soient vus de plus en plus.

Nous, on est une fenêtre sur le monde, on contribue à ce qu’on sorte de nos bulles, parce que les réseaux nous enferment dans l’entre-soi. C’est bien de provoquer des surprises, des fenêtres qui s’ouvrent tout d’un coup sur des choses qu’on ne soupçonnait pas. Je crois que les gens quand ils entendent c’est un film écologique, ils pensent on va encore m’expliquer que le monde va mal et faire peur. Parfois on est surpris, c’est ça qui est bien.

Pour terminer pouvez-vous nous parler un peu de votre film en cours.

C’est encore dans le monde du spectacle. C’est la première fois que je fais un film construit à base d’archives. C’est un portrait de Patrice Chéreau. C’est un 90 pour Arte. Pour les 10 ans de sa mort. C’est passionnant, c’est riche, c’est complexe. C’est très intéressant de travailler sur les archives et d’essayer de restituer, et d’inventer quelque chose à partir de ce qui nous reste, c’est-à-dire si peu. Les pièces de théâtre, les films bien sûr, mais les pièces de théâtre, on est comme un archéologue devant un champ de ruines. Il reste si peu. Quelques photos et c’est tout. Parfois il y a des captations mais plutôt vers la fin. L’idée c’est de raconter cette trajectoire qui démarre dans les années 60. On est toujours très en lien avec l’époque qu’il a traversée. Son œuvre est toujours largement imprégnée de ce qu’il traverse Et c’est complexe, parce que l’homme est complexe. Il y a énormément à dire. Par ailleurs il y a cette polémique assez folle. C’est pas mon sujet. Mais il y a dans la façon dont il se raconte et dont on le voit travailler une forme de réponse à tout cela. Tout simplement qui était-il ? A quoi ressemblait cet homme dans le travail. Il a une qualité qui me bouleverse. Il était d’une honnêteté incroyable. Il se regarde sans jamais de complaisance. Avec une possibilité de réinvention de soi-même bouleversante et très inspirante. J’essaie de restituer ça. Sans oublier les ombres au tableau. Il en parle lui-même très très bien. Je préfère lui laisser la parole là-dessus. Ce sera pour octobre, puisqu’il est mort en octobre 2013.Je suis très heureuse de faire ce film. Je viens du théâtre. J’avais eu des moments d’éblouissement en voyant certaines de ses mises en scène. J’ai aimé tellement découvrir Koltès à travers son théâtre. Il y a plein de choses qui m’ont marquée. Je me sens intimidée mais quand même un peu légitime à en parler.

J’ai un autre projet, qui me tient énormément à cœur. C’est un road movie sur les traces de l’histoire de mon père, qui a grandi sous protectorat marocain. Il m’a raconté avant de mourir. Je l’ai filmé me racontant cette trajectoire qui l’a amené d’enfants de colons à jeune para un peu perdu. Il s’était trompé en s’engageant et prenant conscience de son erreur il engage en faveur des Algériens. Je vais essayer d’avoir des témoignages de personnes âgées sur cette période, leur point de vue sur tout ça. Cette histoire, mon père me l’a racontée très tardivement, mais je me sens reliée à tout ça.

Entretien réalisé par téléphone le 14 janvier 2023.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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