FAMINE EN UKRAINE.

Moissons sanglantes – 1933, la famine en Ukraine. Guillaume Ribot, 2022, 68 minutes.

En 1921 déjà, une famine terrible avait ravagé l’Ukraine. Celle qui va s »vir en 1932-33 sera encore pire. Les paysans meurent de faim partout dans le pays. Mais comment comprendre qu’un pays si riche en blé puisse connaître une telle catastrophe ?

Aujourd’hui nous savons. Cette famine a été décrétée par le pouvoir soviétique. Il s’agit pour Staline de contraindre les paysans à accepter la collectivisation qui vient d’être décrétée. Et d’empêcher l’indépendance que revendique l’Ukraine. Aujourd’hui nous savons. Mais en 1933…La propagande soviétique cache bien sûr la vérité. La décision du Kremlin doit rester secrète. Rien ne doit transpirer à l’étranger. Surtout dans le monde capitaliste.

Il existe très peu d’images d’époque de ces événements. Pas plus que 26 photographies dit-on. Alors, comment faire un film avec si peu de documents et d’archives. Pourtant le film existe, intitulé Moissons sanglantes, réalisé par Guillaume Ribot. Un film rendu possible par deux décisions de réalisation. Deux solutions qu’on ne peut considérer comme de simples astuces. Ce ne sont rien moins que les conditions de possibilité du cinéma même.

En premier lieu, s’il n’existe pas d’images d’époque authentiques, par contre il existe beaucoup de films de fiction situés dans les années 20-30 dans les campagnes de l’URSS. Ce sont ces images que Guillaume Ribot va utiliser, par exemple les films d’Eisenstein, Octobre en tête. La fiction devient ainsi porteuse d’une vérité historique. Et on doit dire que la procédure fonctionne à merveille. Tout au long de ces Moissons sanglantes – un film qui est bien un documentaire, qui ne revendique aucun autre statut – c’est bien le réel soviétique de 1933 en Ukraine qui est documenté. Aussi bien au niveau des images que du commentaire.

Le deuxième élément concerne le scénario. Le film va en effet mettre en scène le travail d’un journaliste gallois, Gareth Jones, spécialiste de l’URSS, qui va se donner comme objectif de révéler au monde entier la vérité de la situation en Ukraine. Il ne s’agit pas d’un personnage fictif, inventé pour la cause du film. Jones a vraiment existé et a vraiment enquêté en Ukraine en 1933, de façon quasi clandestine d’ailleurs. Ribot va donc utiliser tous les documents le concernant et en particulier les articles qu’il publie dans les journaux occidentaux, américains en l’occurrence. Le film ne propose pas d’image filmique de Jones. Il aurait pu avoir recours à un acteur par exemple. Mais l’intention du cinéaste n’est pas de proposer une reconstitution. Nous ne voyons que les pieds du journaliste s’enfonçant dans la neige de l’hiver ukrainien. Et nous voyons beaucoup de trains, dans des gares, dans la campagne. Nous voyons des rails, des locomotives fumantes et même les cheminots qui les conduisent. Et nous suivons dans la bande son le récit que Jones fait de son voyage, depuis Berlin où Hitler vient de prendre le pouvoir, jusqu’à Moscou et la campagne ukrainienne. Dans le train, il interroge ses compagnons de voyage. Puis il part à pied, pénètre dans des villages silencieux, passe la nuit dans des fermes où les paysans meurent de faim. Grâce aux images fictionnelles promues au rang d’archive, le fil peut alors montrer comment les paysans essaient de survivre, par l’abatage du bétail et le fauchage clandestin du blé. Il montre aussi comment ces actions sont réprimées. Pour Staline, il ne doit y avoir aucune pitié. Les paysans sont des contre-révolutionnaires. La faim devient l’arme qui les anéantira.

A l’évidence, ce film a aujourd’hui une forte résonance avec l’actualité de la guerre en Ukraine. Qui sait jusqu’où peut aller Poutine dans sa guerre contre les Ukrainiens.

Grand prix, Documentaire national, Fipadoc 2023, Biarritz.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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