ADAMANT

Sur l’Adamant, Nicolas Philibert, 2023, 109 minutes.

Dans un de ses premiers films (La Moindre des choses 1996) Nicolas Philibert s’était déjà plongé dans le monde de la psychiatrie. Il filmait la célèbre clinique de La Borde, cette institution hors norme fondée et dirigée par Jean Oury et où a travaillé longtemps Félix Guattari, co-auteur avec Gilles Deleuze de l’explosif Antioedipe et de quelques autres non moins importants livres de philosophie. Son film était consacré au filmage de la préparation de la journée de fin d’année consacrée à l’accueil des parents et amis et où sera donné la représentation d’une pièce de théâtre.

Entre La Borde et l’Adamant il y a bien sûr une différence structurelle puisque sur le bateau ancré sur la Seine en plein cœur de Paris, il n’y a pas de résidents permanents puisqu’il s’agit d’un « hôpital » de jour. Il n’y était donc pas possible de filmer un événement particulier préparé sur le long terme. Ici il s’agit plutôt de filmer la vie quotidienne, la vie au jour le jour, les jours comme ils viennent, avec les personnes présentes ce jour-là (patients et soignants selon le vocabulaire courant, des présents qui ne seront peut-être plus là le lendemain, ou dans un mois, puisque ceux qui viennent, en dehors des soignants bien sûr, peuvent très bien ne pas revenir, fréquenter le bateau tous les jours ou être là qu’en pointillé. Mais cela n’empêche pas le cinéaste de s’attarder un peu sur quelques figures marquant le bateau de leur empreinte, sans en faire des héros pour autant.

En dehors de cette différence, on retrouve à l’Adamante le même esprit d’ouverture, de liberté, une conception du travail psychiatrique qui refuse de considérer les patients comme des « malades », qui refuse de les étiqueter, surtout pas comme « fous ». Il s’agit, simplement pourrait-on dire, de personnes qui ont des difficultés, plus ou moins importantes, de vie. Il s’agit alors de les aider à vivre, à survivre même, essentiellement en vivant avec eux, en étant présent à leur côté, pour les écouter et leur donner cette envie de vivre qui leur fera admirer les reflets de l’eau de la Seine à travers les fenêtres du bateau.

Nicolas Philibert ne filme pas de séances de soin – y-a-il de telle séance sur l’Adamant ? – des séances de face à face avec un psy ou sur un divan. C’est la présence sur l’Adamant qui est elle-même, tout entière, soin, les réunions collectives, les ateliers, les discussions informelles sur le temps qui passe ou le temps qu’il fait, et peut-être surtout, le café que l’on peut préparer tout au long de la journée. Par-là, sans rien expliquer ouvertement, le film est une formidable leçon de psychiatrie. Une concrétisation exceptionnelle des positions théoriques qui sous-tendent et légitiment l’existence de l’Adamant.

Dans la vie quotidienne de l’Adamant, nous participons à l’informel de la présence, de la co-présence avec tous ceux qui forment cette petite communauté, avec ses habitudes et ces petits riens qui font le sel de la vie. Il y a quand même des moments institutionnalisés, les réunions où l’on évoque la vie de l’institution (les arrivées de personnes nouvelles) et la vie tout court de ceux qui veulent en parler. Il y a aussi des ateliers, la musique ou le peinture. On joue beaucoup de la guitare ou du piano sur l’Adamant. On y compose des chansons. Ou on interprète celles qu’on aime, comme cette magnifique interprétation de La Bombe humaine du groupe Téléphone, qui sert d’incipit au film.

Sur l’Adamant se présente comme une série de portraits de personnes très différentes les unes des autres mais très vite rendues attachantes grâce au filmage de Philibert, avec ses plans serrés, mais pas trop quand même – il ne s’agit pas de gros plans- de façon à ne pas être intrusif, et qui réussit à capter ce qui, dans un froncement de sourcils ou une grimace de la bouche, exprime le sens profond d’une vie personnelle.

Et puis, Sur l’Adamant est une leçon d’écoute interpersonnelle, comme le montre cette extraordinaire séquence où une femme prend la parole dans une réunion, en dehors de tout ordre du jour, et qui parlant de son projet d’atelier de danse parle beaucoup d’elle-même. Elle est écoutée sans être le moins du monde interrompue. Un profond respect de l’autre et de sa parole.

Ours d’or à la Berlinale 2023.

A lire, sur La moindre des choses : https://dicodoc.blog/2019/09/09/l-comme-la-borde/

et sur Jean Oury https://dicodoc.blog/2016/11/27/o-comme-oury-jean/

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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