La mère de tous les mensonges. Asmae El Moudir. Maroc, Égypte, 2023, 97 minutes.
Contexte.
Une famille marocaine. La famille de la cinéaste. Une famille où domine la grand-mère, une grand-mère qui semble tout diriger, qu’on n’ose surtout pas contredire. Une plongée au cœur de cette famille, mais pas pour rendre compte uniquement des relations familiales. Car il s’agit en fait d’une plongée dans l’histoire du Maroc. Une histoire tragique. Une histoire qu’il ne faudrait pas oublier.

Enjeux.
Rendre compte d’événements qui ont marqué durablement ceux qui les ont vécus. Des événements qu’ils ne pourront jamais oublier. La « grève du pain » en 1981, la journée de manifestation de juin. La répression, violente. Les blessés et les morts. Et les arrestations des jours qui ont suivis. Une dénonciation de l’arbitraire du pouvoir. Un pouvoir dont on ne dit pas qu’il, est dictatorial, mais tout le laisse à penser. Même l’apparente vénération de la grand-mère pour le Roi (Hassan ii). Le récit de l’emprisonnement de l’oncle, avec tous les morts qu’il engendra ne laisse pas de doute.

Personnages.
La cinéaste n’a pas vécu ces événements. Elle est bien trop jeune. C’est pour cela qu’elle convoque sa famille pour en rendre compte. Une quête de vérité dans un contexte de silence, de mensonges, d’oublis. Dans la famille, c’est le personnage de la grand-mère qui domine, et l’oncle barbu qui est le seul à ne pas être écrasé par elle. Pourtant, c’est elle qui a tout vu, qui était aux premières loges lors de cette terrible journée. Mais elle n’en parle jamais, elle n’en a jamais parlé. Comme les autres membres de la famille. Le père surtout. Alors, est-ce le film qui va libérer la parole ?

Évaluation.
La réussite du film, son originalité, tient au dispositif filmique qu’il utilise. Le père a construit une maquette des maisons du quartier. Il y fait évoluer de petites figurines qui sont les membres de la famille et les voisins. Ceux qui sont présents au moment du tournage dans la maison. Il ne s’agit pas d’un filmage en stop-motion. On voit toujours les mains de ceux qui placent et déplacent les figurines. Le film mélange systématiquement et de façon toujours précise, les images des figurines et mes personnages vivants présents autour de la maquette. Ils ont besoins de ce détour pour évoquer ce passé si douloureux. Là où le récit direct n’est pas possible, c’est la force du cinéma et de son dispositif qui a fait surgir la parole. Pourtant, la grand-mère reste muette. On ne saura jamais ce qu’elle a réellement vu cette journée. On ne saura jamais si elle n’a rien à reprocher au Roi. Sauf que le titre du film, lui, est sans équivoque que la position de la cinéaste.
Cannes 2023, Œil d’or (prix du documentaire) et prix de la mise en scène Un certain regard.

