Un collège ordinaire

Château rouge, Hélène Milano, 2024, 107 minutes.

Le cinéma d’Hélène Milano s’est beaucoup intéressé aux jeunes, surtout s’ils vivent dans des quartiers dits difficiles, en banlieue essentiellement.

Dans Les Roses noires en 2012 (un beau titre) la cinéaste rencontrait des jeunes filles de la banlieue parisienne ou des quartiers du nord de Marseille. Elles s’interrogeaient sur leur façon de parler, les conventions langagières qu’elles se sentaient obligées d’adopter, comme elles étaient tout aussi contraintes dans leurs comportements, surtout par rapport aux garçons. Des revendications fortes concernant leur avenir, au-delà du sentiment d’exclusion qu’elles ressentent malgré la protection que l’appartenance à un groupe leur assure.

Puis en 2018, dans les Charbons ardents, ce sont les adolescents en lycée professionnel qui s’expriment sur leur vision de la virilité, les relations entre garçons et sur l’amour. Un tableau particulièrement pertinent de « la fabrique du garçon ».

Avec Château rouge, le nom d’une station de métro, elle entre dans un collège, le collège Georges Clemenceau, à la Goutte d’or, ce quartier de Paris dont la réputation n’est plus à faire. Elle va suivre de l’intérieur la vie quotidienne de cet établissement scolaire dont on peut dire qu’après tout, il n’est pas très différent de bien des collèges français, même si ici on ne parle pas d’élite, on ne recherche pas les performances exceptionnelles, mais simplement les moyens les plus adaptés pour construire son avenir.

Un collège ordinaire en somme, loin des stéréotypes, du misérabilisme et des déterminations sociales qui pèsent sur ces jeunes qui n’ont pas eu la chance de naitre dans « les beaux quartiers ».

Au collège Clemenceau donc, les enseignants enseignent, les élèves apprennent, l’administration les aident à s’orienter à la fin de la troisième, la principale reçoit les parents de ceux qui ont des difficultés, et beaucoup de temps est consacré à leur venir en aide.

Nous entrons dans des salles de cours où l’ambiance est plutôt studieuse. Le prof de maths aide les élèves à résoudre des exercices. En Français, on prépare le grand oral. S’exprimer en public demande des compétences qui jusque là n’étaient guère prises en compte dans le système scolaire. Tous ne réussissent pas spontanément.

Bien sûr, tout n’est pas toujours rose dans ce tableau global. Il y a de l’absentéisme, et certains élèves ne peuvent s’empêcher de commettre « des bêtises ». Les aider à en prendre conscience, et à l’exprimer, est un premier pas vers le changement de comportement.

Mais la grande affaire de la troisième (la classe que nous suivons), c’est l’orientation après le collège avec le choix entre enseignement général et voie professionnelle. Ici c’est le réalisme qui doit primer, même si les enseignants insistent sur le fait qu’il doit s’agir avant tout d’un choix personnel. Le brevet est perçu comme à la portée de tous. En tout cas, il n’est pas vécu comme une épreuve traumatisante.

Beaucoup de films concernant la scolarité des adolescents – surtout ceux issus de l’immigration et vivant dans les quartiers défavorisés – avaient tendance à favoriser les expériences spécifiques, les projets hors du commun pouvant mobiliser les élèves et les séduire par leur nouveauté. Ici rien de tout cela. On a affaire à une année scolaire qui se déroule sans sortir des cadres habituels. A la Goutte d’or aussi, les adolescents s’interrogent sur leur avenir et celui de la société. Malgré les doutes, ils manifestent ce désir de vivre comme tous les autres tout en étant unique et donc original qui caractérise cet âge de la vie.

Un film profondément humaniste.

Festival de Cannes 2024. Sélection Acid.

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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