Une classe en Autriche

Favoriten. Ruth Beckermann, Autriche, 2024, 118 minutes.

Si le précédent film de Ruth Beckermann (Mutzenbacher, 2022) était ouvertement provocateur et nettement en marge des bonnes mœurs, Favoriten ne risque pas d’être qualifié de la sorte. Film sur la vie d’une école en Autriche, il s’inscrit tout aussi ouvertement dans le pédagogiquement correct des films prenant l’enseignement et le système éducatif pour sujet. Favoriten ne serait donc qu’une parenthèse, une exception, dans la filmographie de la cinéaste viennoise.

Favoriten est le nom d’un arrondissement de la capitale autrichienne, un quartier ouvrier et multiculturel, ce qu’en France on appellerait une banlieue défavorisée, donc en difficulté, ce qui ne semble pas le cas ici, du moins dans le filmage de Ruth Beckerman.

La cinéaste présente l’école de ce quartier, ou plus exactement, une classe qu’elle suit pendant 3 ans, depuis le Ce1. Les mêmes élèves, la même enseignante. Des élèves tous issus de l’immigration, des turc et des Syriens en majorité, ce dont l’incipit énonçant les prénoms de ces enfants rend parfaitement compte.

La première entrée dans le film est donc naturellement pédagogique. Maths et allemand, une séance de calcul mental et des exercices de langage oral, les élèves se présentant et indiquant à tour de rôle la profession de leurs parents, une façon toute simple de les présenter et d’indiquer le milieu social dont ils sont issus. Les parents seront d’ailleurs présents dans une réunion de rentrée où on leur distribue un document sur l’école, mais en dehors de 2 ou 3 rencontres avec l’enseignante, les parents ne feront qu’une apparition passagère dans le film, la centration du regard de la cinéaste étant plutôt du côté des élèves et de la maîtresse.

Une maîtresse particulièrement dynamique, joyeuse et enjouée, stimulant toujours les élèves, le plus souvent dans la bonne humeur. Elle chante et danse avec eux, mais elle sait aussi être exigeante, en particulier au niveau des relations entre élèves. Car bien que dans l’ensemble ces relations soient bonnes et l’ambiance générale de la classe excellente, il y a quand même des conflits, de petites bagarres et même un cas explicite de harcèlement d’une élève persécutée en particulier par les garçons. La maîtresse s’efforce de régler tout ça, mettant  en place non pas un tribunal ,mais un temps de régulation collective.

Malgré cela, la classe suit son cours sans grand problème. On assiste à une séquence consacrée à l’éducation sexuelle et la religion, très présente évidemment dans la vie familiale des enfants, est abordée dans la visite d’une mosquée d’une part et de la cathédrale de Vienne de l’autre. L’Iman montre comment s’effectue la prière chez les musulmans et le prêtre lui insiste sur le fait que la cathédrale appartient à tout le monde et donc à tous les enfants présents.

D’une façon générale, on peut qualifier la pédagogie mise en place d’e pédagogie active, ce qui se concrétise particulièrement par l’usage du téléphone portable comme caméra. Les élèves se filment réciproquement en gros plan et ils filment en équipe la ville lors de sorties. Et visiblement ils aiment ça.

Au bout de trois ans, on approche de la fin de l’école primaire. La question du passage au niveau supérieur ne peut pas ne pas se poser. En Autriche, deux voies différentes sont possibles, le collège proprement dit et une autre sorte d’école moins exigeante. Nous assistons au contrôle de fin d’année qui stresse pas mal d’élèves. Les résultats ne sont pas au même niveau pour tous et ceux qui ont des difficultés avec des notes d’ensemble autour de D, le ressentent mal, ce qui nous vaut des pleurs aussi bien du côté garçon que du côté fille.

Dernier événement de la classe, la maîtresse annonce qu’elle est enceinte. Elle prendra son congé de maternité avant la fin de l’année. Le moment venu de faire ses adieux aux enfants, elle ne sait pas si elle sera remplacée, ce qu’elle vit très mal. Un sentiment d’abandonner ceux avec qui elle a tissé des liens affectifs intenses. Cela est exprimé avec beaucoup d’émotion et elle ne peut pas retenir ses larmes. Les élèves aussi ne peuvent que pleurer. Ils entourent tous leur maitresse comme un groupe sportif. Une belle image de la cohésion sociale créée par l’école.

Festival International du Film d’Education, Evreux 2024.

Photos © Ruth Beckermann Filmproduktion.

Avatar de jean pierre Carrier

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

Laisser un commentaire