Famille nombreuse.

Fratrie. Juliette Cazanave, 2024, 86 minutes.

On est loin de l’enfant unique chinois (le Veilleur), et si ce n’est pas un record, on n’en est pas loin. Surtout en ce temps de baisse de la natalité, 9 enfants, c’est quand même une exception.

Une famille de pasteur protestant, qui a toujours donné l’apparence d’une famille soudée. Une fratrie qui fait bloc autour du couple parental. Une image de surface peut être. A l’évidence, il faut creuser un peu plus. Dans les archives, pour les photos, dans les souvenirs surtout.

Le film de Juliette Cazanave s’annonce d’abord comme un film d’entretien, plutôt statique donc. Il est alors impératif de mettre en place un dispositif qui en fera un film de cinéma. À ce niveau, le travail de la réalisatrice est une vraie réussite. Un par un, les enfants devenus adultes, bien sûr, et sans ceux qui n’ont pas vécu jusqu’à aujourd’hui (à savoir deux sur neuf), viennent se présenter en gros plan. Nous nous retrouvons ensuite dans une salle de spectacle peu éclairée. Un à un encore, ils descendent les marches de la salle et montent sur la scène où les attend une chaise où ils vont prendre place devant un ensemble de micros. de caméras, éclairages qui constitue un studio mobile et éphémère. Et si le tout est peu éclairé, cela correspond parfaitement au noir et blanc adopté pour l’ensemble du film. Un noir et blanc, très photogénique et seulement rompu par certaines photos d’archives qui étaient en couleur et qui le sont restées.

Les membres de cette fratrie sont filmés toujours seul. Le film n’introduit pas de réunion de famille. Mais il y est quand même et surtout question des liens et des relations qui existent ou ont existé. dès l’enfance, entre eux. D’ailleurs, Dans la présentation, il leur est demandé de décliner leur place, leur rang dans la fratrie. 4 aînés, 2 garçons et 2 filles, appelés les grands ; 3 petits derniers appelés les petits, et entre les 2 groupes, des intermédiaires, deux filles qui jouent, qui doivent jouer, un rôle particulier, tampon ou agent de liaison. La structure de la famille est ainsi définie dès le départ. Et les questions que cela pose : quelle est la meilleure place ou la place défavorable à l’épanouissement personnel ? Comment chaque clan vit-il les relations avec les autres ? Isolément ou dans leur entité de groupe. Qui domine, qui subit des pressions ? Qui recherche l’indépendance ? Quel jeu d’influence peut-on repérer ? Conscient ou inconscient ?

Si les membres de la famille sont toujours filmés isolément, le film ne peut pas pour autant être considéré comme un film choral. Les relations interpersonnelles ne sont pas marquées, matérialisées à l’écran. Mais elles n’en sont pas moins centrales et déterminantes dans la vie de chacun. C’est en tout cas ce à quoi renvoie tous les récits. Même si certaines soulignent leur recherche d’indépendance, cela en somme, n’est qu’une façon de souligner en creux l’importance du collectif.

Par petites touches se dessine donc une série de vies individuelles, avec leur spécificité, à partir du socle familial commun. Une diversité de destins qu’on peine à resituer dans le cadre d’un déterminisme familial.

Il y a ceux (et celles) qui sont restés croyants et ceux qui ne l’ont peut-être jamais été. Il y a ceux( et celles) qui se sont mariés dans leur rue, comme ils disent, c’est-à-dire dans leur milieu social. Il y a ceux (et celles) qui sont parties loin de la famille, en Afrique par exemple, il y a celle qui a toujours milité dans le Parti communiste et celui qui a vécu ouvertement son homosexualité. Et ainsi de suite. Tous ont vécu une enfance qu’on peut sans doute considérer comme heureuse, dans cette famille originale, ouverte et accueillante. Une famille où aucun ne remet en cause l’éducation des parents.

 Un film qui occupera toujours une place importante dans les filmographies des films de famille.

Fipadoc, Biarritz 2025.

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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