Les mots du documentaire – 4 Ecole.

Première partie. En France

Comment le cinéma documentaire rend-il compte de l’école ? Comment montre-t-il la pédagogie qui y est mise en œuvre sans pour autant faire un film didactique qui aurait pour seul but de soutenir un type de pédagogie (ou un courant) ? Comment est filmé aussi le travail des enseignants et surtout comment les enfants vivent ce temps et cette espace, l’école, qui occupe presque toute leur vie d’enfant ?

Le documentaire traite donc de l’ensemble du système scolaire, de la maternelle jusqu’au collège et au lycée. Plus que les méthodes pédagogiques, c’est la vie des élèves qui intéresse le plus les cinéastes. Les classes spéciales ne sont pas oubliées, celle où on apprend le français quand on vient d’arriver dans le pays ; celles aussi où on essaie de « raccrocher » ceux que l’école n’intéresse plus ou ne les a jamais intéressés. Tous se posent la question de leur avenir. L’école peut-elle contribuer à les faire entrer dans un monde où il fait bon vivre ? Où le bonheur ne sera plus un vain mot. L’école permet-elle encore aux enfants de rêver ?

Avec les documentaristes, nous entrons donc dans les classes, à côté des élèves, devant les enseignants. Des occasions rares de pouvoir appréhender ce qui se passe réellement entre les quatre murs de ces salles fermées, interdites normalement aux adules -en dehors du personnels enseignants bien sûr – et si rarement accueillantes, même aux parents.

Les parents, pourtant, ne peuvent pas être exclus de la communauté éducative. Même si aujourd’hui, dans de trop nombreuses situations, ils peuvent être défaillants, voire même absents. L’école ne doit-elle pas alors ajouter à sa mission d’instruction, un rôle éducatif. En particulier dans l’éducation au vivre ensemble et à la citoyenneté

Histoire

Le film de Joanna Grudzinska, Révolution école (1918 – 1939), est l’occasion de rappeler les thèses et les actions concrètes de ceux qui sont restés dans l’histoire de la pédagogie comme des pionniers, des visionnaires, des révolutionnaires. Depuis Adolf Ferrière en Belgique jusqu’à Célestin Freinet, en passant par Ovide Decroly et Maria Montessori, sans oublier Alexander Neill en Angleterre. L’Education Nouvelle, ce n’est certes pas une école unique ou unifiée, malgré la création d’une ligue et la tenue de congrès internationaux. Mais il y a bien quand même une unité de pensée, des objectifs communs, un combat mené certes sous des formes différentes mais qui tendait vers les mêmes buts, la libération de l’enfant du carcan de l’école traditionnelle.

Leur point de départ est donc la critique, sans concession, de l’école et des pratiques éducatives traditionnelles, l’autorité, la discipline, le système des punitions (avec châtiment corporel officialisé en Angleterre), le tout visant à modeler un futur citoyen modèle – passif et obéissant – et un bon soldat. A cela est opposé le dynamisme et la spontanéité de l’enfant, qu’il faut respecter à tout prix, et dont il faut permettre l’expression de la créativité naturelle. Rousseau n’est pas loin !

Tous ces pédagogues ont fondé des écoles et mis en pratique leurs idées, même s’ils se sont heurtés, comme Freinet, à l’incompréhension et au rejet de l’institution scolaire. Le film nous montre dans tous ces lieux de libération, des enfants joyeux, dont le plaisir de vivre et d’apprendre est évident. Des images particulièrement stimulante et réconfortante.

Ecole maternelle.

Quelle est la spécificité de l’école maternelle et plus précisément de sa première année, la petite section, ou même la toute petite section, qui accueille des enfants de moins de trois ans, souvent dans des quartiers dits défavorisés, dans une perspective d’aide, voire de suppléance, de l’action éducative des familles ? Que l’enfant entre à l’école à 2 ans ou à 3 ans, c’est pour lui le premier contact avec cette institution qu’il fréquentera au moins jusqu’à 16 ans. Une grande partie de sa vie donc et qui aura d’une façon ou d’une autre de l’influence sur son avenir. Cette découverte de l’école, comment est-elle vécue par les principaux intéressés et qu’est-ce que cette école peut bien leur proposer comme activités, puisqu’il ne s’agit plus d’une garderie, ni même d’un jardin d’enfants comme en Allemagne ou dans les pays scandinaves. En France, l’école maternelle est une école, une vraie école (et non pas une « petite » école), c’est-à-dire un lieu où les enfants font des apprentissages. De 2 à 3 ans, qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ?

Pour suivre la première année de scolarisation Jean-Paul Julliand a choisi une présentation chronologique. Du premier jour donc parmi les pleurs des tout-petits qui ne comprennent pas pourquoi leur maman est partie et qui se retrouvent totalement désemparés au milieu d’un groupe d’enfants qui semblent tout aussi perdus, jusqu’à la fête de fin d’année ou ces mêmes enfants seront devenus des élèves tout en restant bien sûr des enfants, prêts à entrer dans la classe supérieure. Le film consacre un long moment à ce premier jour d’école où les mamans, et quelques papas, qui accompagnent leurs petits sont parfois tout aussi désemparés qu’eux. Car le film s’adresse en priorité à ces parents qui ont eux-aussi à accepter d’être séparés de leur enfant, ce qui n’est pas toujours facile. Mais bien sûr, l’expérience fondamentale, celle qui est la plus lourde de conséquences, reste celle des enfants, surtout ceux qui n’ont pas connu jusque-là de moyen de garde en dehors de la famille. Lorsque la maman s’en va, comment peuvent-ils être certains qu’elle reviendra les chercher, qu’elle ne les a pas simplement abandonnés dans ce milieu nouveau qui ne peut être, dans ces conditions, qu’un milieu hostile. Un milieu qu’il faut donc apprendre à connaître, pour petit à petit s’y sentir de mieux en mieux et pour pouvoir commencer à en tirer des bénéfices. Car c’est bien cela l’enjeu principal du film, montrer comment l’enfant change, comment il grandit, comment il devient différent de ce qu’il aurait été s’il n’était pas entré à l’école si tôt.

Au fil de l’année, le film s’attarde donc tour à tour sur les principales activités qui sont proposées aux enfants, tout ce qui vise un développement sensoriel, moteur, intellectuel, avec en filigrane permanent la dimension sociale de cette vie collective si différente de la vie familiale. Apprendre à distinguer les couleurs, les formes, les sons, les lettres. Apprendre à se mouvoir avec aisance dans l’espace quels que soient les obstacles rencontrés. Apprendre à s’exprimer, à verbaliser ce que l’on ressent et développer ainsi ce langage oral si important dans la vie. Manipuler aussi toute sorte d’objets et de matières, de la pâte à modeler aux images pour pouvoir peu à peu entrer dans une démarche qui a déjà un sens artistique et qui ouvre peu à peu les portes de l’imaginaire. Dis Maîtresse de Jean-Paul Julliand

L’école primaire

Par son titre, Apprendre, Claire Simon place son film sous l’angle de l’apprentissage, donc des élèves, sur lesquels elle va se focaliser en priorité, les filmant comme on dit à « hauteur d’enfant 

Qu’apprend-on à l’école primaire ? A lire, écrire, compter comme tout le monde l’affirme. À quoi il faut ajouter dans la poursuite de la maternelle, parler. Le langage joue un rôle essentiel dans la poursuite de la scolarité, surtout bien sûr pour les enfants dont le Français n’est pas la langue maternelle.

À côté du rôle strictement scolaire, les enseignants aujourd’hui ont de plus en plus à se confronter à une autre exigence sociale, l’éducation ! Souvent en complément ou en remplacement du rôle de la famille, souvent défaillante dans les quartiers difficiles. S’il faut apprendre à apprendre aux élèves avec tout ce qu’exige le « métier d’élève », il faut aussi leur apprendre à devenir citoyen. Une citoyenneté qui peut s’exercer dès le plus jeune âge. La gestion des relations sociales. Et de ce qu’il est convenu d’appeler le vivre ensemble

Il y a dans le film de Claire Simon une séquence surprenante, qui peut paraître, au premier abord, incongrue. La visite d’élèves de l’école Alsacienne de Paris. Une rencontre entre des élèves de milieux et de classes sociale bien différents. D’un côté, l’école Makarenko d’Ivry-Sur-Seine ; de l’autre une école privée dans le 16e arrondissement de Paris. Mais très vite, nous nous rendons compte qu’il s’agit d’un projet pédagogique extrêmement porteur pour les deux côtés, un projet qui ouvre l’esprit des enfants. Qui élargit leur monde en sortant de leur vision habituelle

Grâce à l’école et aux enseignants, ces enfants ont un avenir. Même si le déterminisme social n’est pas aboli comme par miracle. Ils ne sont pas non plus condamnés à l’échec. Un film qui nous pousse à l’optimisme.

Des enfants écoliers

Des élèves au travail dans une classe d’une école élémentaire, nous en voyons aussi dans le film de Rémy Bruno qui s’appelle justement, et tout simplement, Ecoliers. Mais ces élèves sont aussi des enfants. Ils restent des enfants. Et il est important pour les adultes de ne pas l’oublier.

La vraie vie de l’école, dans le quotidien des apprentissages, c’est la vie des élèves, filmés, frontalement, assis à leur table, mais travaillant par deux ou trois. Échangeant donc, à voix basses, sur leur travail. Mais aussi sur leur vie. Leur vie d’écoliers, et leur vie d’enfant d’une dizaine d’années.

Le maître est bien présent, mais relégué au fond de la classe, assis lui aussi à une table, entouré d’élèves qui viennent lui présenter leur travail, ou lui demander de l’aide. Un maître qui n’est jamais face aux élèves dans une posture magistrale. C’est bien sûr un choix pédagogique. Une pédagogie active, basée sur l’activité des élèves, le maître n’étant là que pour les aider, les guider aussi, les encourager, les stimuler et organiser leurs apprentissages. Il n’est pas en position d’enseignement. Façon de montrer qu’à l’école l’essentiel, c’est l’apprentissage. Du côté de l’élève.

Des élèves donc, visiblement habitués à cette pédagogie. Très à l’aise dans la classe et dans le groupe-classe. Même si bien sûr il peut y avoir des heurts et des frictions entre eux, surtout pendant les récréations. Mais cela est régulé dans le « conseil », où ils exposent librement ces petits problèmes, et cherchent collectivement des solutions. En tout cas, le maître n’est plus en position de juge. Il n’est pas là pour punir. Si les règles sont enfreintes, il y a bien sûr des sanctions. Mais ce sont les élèves qui en décident. Celui qu’elles concernent se doit alors de les accepter. Une vraie leçon de démocratie.

Une classe de Cours Moyen, à Châteauroux.

Les Lucioles de Bérangère Jannelle. Un film qui nous plonge pendant une année scolaire dans une classe d’une école élémentaire, où les élèves travaillent, apprennent et sont heureux.

Ici, il n’y a pas de recette miracle, pas de référence tonitruante à tel ou tel nom de pédagogue ou courant plus ou moins à la mode. Ici il y a un travail patient, rigoureux, pertinent. Et l’engagement sans faille d’une professionnelle, qui fait son métier avec une conscience absolue de son importance fondamentale. Pas pour elle. Pour l’avenir des enfants qui lui sont confiés bien sûr.

Ici, dans cette classe ordinaire, on fait de la poésie et de la philosophie. Au même titre que toutes les autres matières du programme. Mais faire de la poésie et de la philosophie avec toute l’intensité dont une enseignante et ses élèves sont capables, ça change tout. Ça change surtout la vision du monde de ces enfants et de la conception qu’ils peuvent se faire de leur avenir.

Le film commence par une séance collective de recherche d’idées : que va-t-on faire pour le printemps des poètes ? Décision ? Aller offrir des poèmes, chuchotés à l’oreille grâce à un « rossignol », aux clients d’un supermarché ! Et nous suivrons toutes les étapes de la préparation jusqu’à l’apothéose finale, cette magnifique entrée dans l’allée centrale du centre Leclerc, les enfants bien groupés derrière la maîtresse qui les guide avec son accordéon.

La cinéaste a parfaitement su capter l’ambiance de cette classe, le dynamisme de la maîtresse et la vitalité des élèves. Dès le premier plan la force de la musique donne le ton. Nous sommes plongés au cœur de l’action, parmi les enfants dont nous entendons chaque parole chuchotée, chaque cri dans la cour de récréation, chaque échange dans la classe pour trouver une réponse aux obstacles et aux difficultés. Et toujours aller de l’avant, ne jamais renoncer, prendre en main sa scolarité.

La classe unique.

Une petite école rurale, filmée par Nicolas Philibert, une toute petite école même, puisque qu’elle ne comporte qu’une seule classe et n’accueille que treize enfants au total. Ils sont inscrits respectivement dans tous les cycles du premier degré de la scolarité, de la petite section de maternelle, jusqu’au CM2. Il s’agit d’une classe unique, selon la terminologie employée, un type de classe longtemps dominant dans les zones rurales les plus éloignée des centres urbains, et qui est en voie de disparition du fait des regroupements entre les communes et aussi de la désertification qui touche ces régions. Ici le maître n’a pas de collègue dans l’enceinte de l’école, et il doit assurer la scolarité des petits comme des grands, leur apprendre à lire au CP, les préparer au CM2 à entrer au collège, et tous les autres apprentissages qui sont inscrits dans les programmes de chaque niveau.

Être et avoir n’est pas un film pédagogique. Il ne défend aucune thèse sur le fonctionnement ou le devenir du système éducatif. Il ne critique ni ne fait l’éloge d’aucune méthode. Celle mise en œuvre par le maître, Monsieur Lopez, étant plutôt traditionnelle, mais caractéristique du type de classe où il doit prendre en charge des enfants d’âges si différents. Le film s’intéresse tout autant aux enfants, à leur vécu d’écoliers et à leurs problèmes d’enfants. Des enfants qui ont chacun leur personnalité, avec leur côté attachant mais aussi des défauts qui peuvent vite les rendre insupportables. Le maître n’est pas seulement celui qui pilote et organise des apprentissages, il est là aussi pour les aider à grandir. Lorsqu’ils quittent l’école à la porte de l’adolescence ils pourront affronter une tout autre réalité scolaire, celle du collège, dans les meilleures conditions. Ce qui ne veut pas dire que leur réussite est déjà assurée. Le film montre la scolarité comme un cheminement, long, difficile, sinueux. Un chemin dans lequel tant d’enfants ont aujourd’hui tendance à se perdre.

Dans la classe de Être et avoir, nous sommes bien loin de ces écoles, de banlieue ou d’ailleurs, dont on parle le plus dans les médias, ces classes qui sont quasiment représentées comme une jungle et vécues par les enseignants comme un enfer ! Il n’est certes pas inutile de rappeler qu’il existe en France des classes où les enfants peuvent à la fois apprendre et s’épanouir. Toute la difficulté étant sans doute de faire l’un et l’autre en même temps…

Le collège

Le cinéma d’Hélène Milano s’est beaucoup intéressé aux jeunes, surtout s’ils vivent dans des quartiers dits difficiles, en banlieue essentiellement.

Dans Les Roses noires en 2012 (un beau titre) la cinéaste rencontrait des jeunes filles de la banlieue parisienne ou des quartiers du nord de Marseille. Elles s’interrogeaient sur leur façon de parler, les conventions langagières qu’elles se sentaient obligées d’adopter, comme elles étaient tout aussi contraintes dans leurs comportements, surtout par rapport aux garçons. Des revendications fortes concernant leur avenir, au-delà du sentiment d’exclusion qu’elles ressentent malgré la protection que l’appartenance à un groupe leur assure.

Puis en 2018, dans les Charbons ardents, ce sont les adolescents en lycée professionnel qui s’expriment sur leur vision de la virilité, les relations entre garçons et sur l’amour. Un tableau particulièrement pertinent de « la fabrique du garçon ».

Avec Château rouge, le nom d’une station de métro, elle entre dans un collège, le collège Georges Clemenceau, à la Goutte d’or, ce quartier de Paris dont la réputation n’est plus à faire. Elle va suivre de l’intérieur la vie quotidienne de cet établissement scolaire dont on peut dire qu’après tout, il n’est pas très différent de bien des collèges français, même si ici on ne parle pas d’élite, on ne recherche pas les performances exceptionnelles, mais simplement les moyens les plus adaptés pour construire son avenir.

Un collège ordinaire en somme, loin des stéréotypes, du misérabilisme et des déterminations sociales qui pèsent sur ces jeunes qui n’ont pas eu la chance de naitre dans « les beaux quartiers ».

Au collège Clemenceau donc, les enseignants enseignent, les élèves apprennent, l’administration les aident à s’orienter à la fin de la troisième, la principale reçoit les parents de ceux qui ont des difficultés, et beaucoup de temps est consacré à leur venir en aide.

Nous entrons dans des salles de cours où l’ambiance est plutôt studieuse. Le prof de maths aide les élèves à résoudre des exercices. En Français, on prépare le grand oral. S’exprimer en public demande des compétences qui jusque-là n’étaient guère prises en compte dans le système scolaire. Tous ne réussissent pas spontanément.

Bien sûr, tout n’est pas toujours rose dans ce tableau global. Il y a de l’absentéisme, et certains élèves ne peuvent s’empêcher de commettre « des bêtises ». Les aider à en prendre conscience, et à l’exprimer, est un premier pas vers le changement de comportement.

Mais la grande affaire de la troisième (la classe que nous suivons), c’est l’orientation après le collège avec le choix entre enseignement général et voie professionnelle. Ici c’est le réalisme qui doit primer, même si les enseignants insistent sur le fait qu’il doit s’agir avant tout d’un choix personnel. Le brevet est perçu comme à la portée de tous. En tout cas, il n’est pas vécu comme une épreuve traumatisante.

Le Lycée

100% de réussite au bac dans une classe de terminale, est-ce possible ? Oui, c’est possible répond le professeur principal de la classe que nous allons suivre dans le film de Jérémie Fontanieu, un prof qui pour les besoins de la cause se transforme en cinéaste. Et il ajoute ce n’est pas une exception. Les deux dernières années scolaires, déjà, c’était le cas.

Mais, 100% de réussite au bac comment est-ce possible ? Et le film de répondre, c’est grâce à une méthode, une nouvelle méthode, la méthode de la « réconciliation »

Réconcilier qui avec qui ou avec quoi ?

D’abord réconcilier les élèves, tous les élèves avec l’école, avec les études, avec le travail avec les efforts. Les réconcilier aussi avec les profs, ce qui ne veut pas dire qu’ils deviendront copain. L’élève reste en apprenant et le prof un enseignant. Mais il faut que l’élève se rende bien compte que le prof est là pour qu’il réussisse. Et qu’il fera tout pour qu’il réussisse, pour que tous les élèves réussissent.

En second lieu, réconcilier les parents avec l’école. Ils doivent comprendre, il faut leur faire comprendre concrètement, que le lycée est le lieu de la réussite qui ouvrira, avec le bac, les portes de l’avenir à leur enfant, un avenir que les élèves pourront prendre en main. Réconcilier donc tous les parents de la classe avec leur lycée, le percevoir comme le lieu de la réussite et non pas comme celui de l’échec, parce que la banlieue, nous sommes à Drancy, serait condamnée à l’échec, la réussite n’étant qu’une exception.

 Troisièmement réconcilier les profs avec l’école avec le lycée et avec les élèves, ne plus percevoir le lycée comme le lieu du travail aliéné qui n’aboutit pas à grand-chose, parce que l’échec serait plus présent que la réussite. Percevoir tous les élèves comme des adolescents (mais à l’école primaire ce sera aussi vrai pour les enfants) des ados qui veulent réussir, qui ont envie de réussir et qui feront tout pour réussir si on leur montre que c’est possible, que c’est possible pour tous et pas seulement pour une élite favorisée.

La méthode mise en place par les deux professeurs, respectivement professeur d’économie et professeur de mathématiques, dans la Terminale ES 3 repose sur deux piliers.

Du côté des élèves, il s’agit d’un véritable changement d’attitude par rapport aux études à partir du moment où l’on a compris qu’on n’a jamais rien sans rien et que le travail et les efforts finissent toujours par payer. Alors en classe, les élèves ne bavarderont plus, ils ne rêvasseront plus. Ils se concentreront sur le court Fini l’absentéisme et le dilettantisme. Ils iront au lycée pour travailler.

Ensuite la méthode est basée sur la coopération avec les familles. Les parents doivent être partie prenante de la scolarisation de leurs enfants. Ils doivent se rendre compte que rien de positif ne se fera sans eux.

Le film de Jeremy Fontanieu est un film militant. Il vise ouvertement à faire connaître la méthode, cette méthode nouvelle, à la populariser et à gagner de nouveaux adeptes dans le rang des enseignants. Pour cela il va suivre pas-à-pas l’année scolaire de la classe choisie, la Terminale ES3, annonçant dès le début que l’objectif et de 100% de réussite au bac, créant ainsi une dramaturgie. C’est du cinéma, mais visiblement ça fonctionne aussi au lycée dans la classe avec les élèves. Il y a donc pas mal de suspense dans le film. N’y aurait-il pas, par malchance, un élève, un seul, qui flanchera, qui finira par se décourager, par renoncer, par ne pas fournir le petit supplément de travail qui lui permettrait de franchir la barre ? Là-dessus Jérémy Fontanieu est catégorique : 100% c’est possible, donc ce sera 100%.

Souffrance des élèves. Phobie scolaire

Ils ne peuvent plus aller à l’école. Cela leur est devenu impossible. Fondamentalement impossible. Pas un simple caprice. Pas cette boule au ventre que beaucoup d’enfants ressentent les jours de rentrée par exemple. Ou cet ennui que tant d’autres connaissent dans les salles de classe. Des enfants, dès la maternelle parfois. Des adolescents qui, arrivés en terminale parfois pour certains, subitement ne peuvent plus continuer. De tout âge donc. De toute origine sociale aussi. Des cas qu’il ne faut surtout pas confondre avec le décrochage, cette sorte de ras le bol qui pousse à essayer d’échapper aux contraintes scolaires et qui se traduit surtout par un échec généralisé dans les apprentissages. La phobie est d’un autre ordre. Du côté du désespoir. Du côté de l’impossibilité de vivre à l’école.

Dans la première partie du film, la cinéaste rencontre ces jeunes qui connaissent – ou ont connu – ce qui de toute façon est un drame, un drame familial, un drame social aussi, et qui pousse à se couper du monde, à rester dans sa chambre, dans son lit, à tout faire pour ne pas aller à l’école, jusqu’à se cogner la tête contre les murs, jusqu’à sauter par la fenêtre. Des jeunes qui disent leur souffrance, simplement, sans chercher à trouver des explications. Parfois pourtant, on peut bien évoquer des raisons, comme cet ado qui dit avoir été harcelé pendant deux ans. Mais le plus souvent, il est presque impossible de trouver une cause, ou, si l’on peut trouver un fait déclencheur, il reste factuel. Le plus important est ailleurs.

Puis le film donne la parole aux parents. Tous parlent avec une grande sincérité de ce qui fut – et qui est toujours – une épreuve terrible. Tous reconnaissent avoir fait des erreurs. Parce qu’au début ils ne comprenaient pas. Parce qu’ils ont toujours été très long à reconnaître qu’il s’agissait d’une véritable pathologie et qu’il fallait faire appel à un spécialiste. Comme ce thérapeute que nous voyons recevoir cet enfant de cinq ans et qui lui propose des séances de jeu.

Ces parents, rencontrés aux quatre coins de la Normandie, se sont organisés en association pour être un véritable interlocuteur de l’institution scolaire. Une institution qui est souvent dépassée par les cas les plus douloureux, traités parfois comme un simple absentéisme, bien que certains chefs d’établissement et surtout les infirmières commencent à prendre conscience de la gravité de certaines situations et essaient de venir en aide aux parents. Une association où surtout, ces parents souvent désespérés, peuvent se rencontrer, parler entre eux -dans des groupes de parole par exemple – de leur situation, trouver un soutien, ne plus être seul face au problème.

Le film d’Anne Mourgues est une alerte. Il met le doigt sur des situations souvent extrêmes, mais qui demandent à ne plus être considérées comme de simples accidents de parcours qui finiront bien par s’arranger. Les ados que nous rencontrons dans le film peuvent très bien repartir dans la vie et trouver une place dans la société. Mais ils resteront sans doute marqués par la souffrance qu’ils ont connue. Ceux-là ont eu la chance de pouvoir être aidés. A l’évidence ce n’est pas le cas de tous. Il reste beaucoup à faire dans ce domaine.

Les enseignants. Souffrance au travail

Ils sont entrés dans l’Éducation Nationale par vocation, ou du moins par conviction. Professeur d’école, un métier qu’ils ont adoré, le plus beau des métiers. Un métier auquel ils étaient prêts à se dévouer corps et âme. Un métier qui donnait du sens à leur vie. Un métier qui était toute leur vie, au point de la dévorer, au point de les empêcher de continuer à vivre.

Le film de Julie Chauvin fait le portrait de quelques-uns de ses enseignants du primaire, des femmes surtout, entre burn out, dépression et même jusqu’au suicide. Des enseignants qui ont vécu la lente détérioration de l’Éducation Nationale et qui en sont venus à quitter leur métier, ne pouvant plus le supporter, brisés par une administration sourde à leurs problèmes, une administration avec ses réformes inapplicables. Des enseignants réduits à n’être plus qu’un pion charger d’appliquer des directives venues d’en haut sans tenir compte des réalités du terrain.

Centré sur les personnes, le film est en même temps le procès du système. A écouter les récits de leur carrière, on comprend ce que veut dire le slogan « la casse de l’école » On voit de l’Intérieur ce qui, pour tant d’enseignants, fut plus qu’une désillusion, une véritable déchirure.

Pourquoi donc des carrières qui avaient démarré sous les meilleurs hospices – la réalisation d’un rêve – se sont-elles à ce point dégradées.  La charge de travail avait sans doute été largement sous-estimé. Très vite c’est la vie de famille qui disparaît et les vacances ne suffisent plus à compenser la fatigue accumulée. Mais surtout, c’est le sentiment que la mission dont ces enseignants se sentaient investis (« sauver tous les enfants ») qui apparaît de plus en plus irréalisable. Les conditions sociales deviennent de plus en plus difficiles à gérer, et pas seulement dans des banlieues dites difficiles. Bref le professeur se voit confronté à des problèmes de toutes sortes, de l’enfant battu à ceux qui sont victimes de sévices sexuels. Si enseigner reste le cœur du métier, de nouvelles tâches apparaissent, être éducateur ou même assistante sociale. Des tâches qui prennent de plus en plus de place, de plus en plus de temps et d’énergie. «L’intimité » avec les enfants, vécue au départ comme positive, devient vite une charge insupportable. Le comble apparait alors dans la loi sur l’inclusion scolaire. Si le principe (scolariser tous les enfants de la même façon, même ceux porteurs de handicaps lourds) n’est pas remis en cause, le manque de moyens et les cas extrêmes d’enfants ingérables finissent par créer des situations intenables. La souffrance au travail n’est pas un mythe.

Références

Révolution école (1918 – 1939). Joanna Grudzinska, 2016, 85 minutes.

Dis maîtresse. Jean-Paul Julliand. 2015, 75 minutes.

Apprendre. Claire Simon, 2024, 105 minutes

Ecoliers. Rémy Bruno, 2021, 70 minutes.

Les lucioles. Bérangère Jannelle, 2018, 57 minutes.

Être et avoir. Nicolas Philibert, 2002, 104 minutes.

Château rouge. Hélène Milano, 2024, 107 minutes.

Le monde est à eux. Jérémie Fontanieu, 2023, 73 minutes.

Phobie-scolaire : le burn-out de l’enfance. Anne Mourgues, 2020, 52 minutes.

L’école est finie. Julie Chauvin, 2022, 58 minutes.

A suivre, l’école dans le monde.

Avatar de jean pierre Carrier

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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