Les mots du documentaire – Guerre

2 Guerre d’Algérie

J’ai huit ans de Yann Le Masson, 1961.

La guerre vue par les enfants, pas ceux qui la font, ceux qui la subissent.

Yann Le Masson a été officier parachutiste ; il s’engage dès 1958 pour la cause de l’indépendance algérienne et devient un « porteur de valise » du FLN. Le film qu’il consacre en 1961 à l’Algérie, J’ai huit ans, sera interdit de diffusion sur le territoire français, mais diffusé clandestinement. Ce petit film de neuf minutes nous montre en gros plan des visages d’enfants algériens muets. Puis ce sont leurs dessins qui occupent l’écran, des dessins où domine le rouge du sang et de la mort, au milieu des armes et des militaires. En voix off, ces enfants racontent. Dans leur français parfois hésitant, ils évoquent les actes de guerre de l’armée française, les arrestations, les exécutions. Toute la terreur qu’ils ressentent. Une dénonciation particulièrement forte de la guerre, de cette « sale » guerre qui n’a pas toujours osé dire son nom.

Ils ne savaient pas que c’était une guerre ! (Algérie, 50 ans après !) un film de Jean-Paul Julliand, 2014, 52 minutes.

Ils ont fait la guerre d’Algérie sans le savoir. Sans savoir que c’était une guerre. Car pour les autorités françaises le contingent n’était envoyé là-bas que pour participer à des opérations de maintien de l’ordre. Mais comment ces jeunes appelés qui pouvaient, lors du service militaire obligatoire, rester jusqu’à trois ans de l’autre côté de la Méditerranée, ont-ils vécus cette période fondamentale de leur jeunesse. Quelles traces a-t-elle laissé dans leur vie ?

Jean-Paul Julliand a retrouvé quinze d’entre eux, tous originaires du même village, Bourg-Argental, dans la Loire, et leur a donné la parole. Des récits particulièrement instructifs sur cette période troublée de l’histoire de France et dont la conscience nationale a fortement tendance à minimiser l’importance ou même à les occulter complètement.

La parole de ces anciens de l’Algérie nous est présentée dans un montage organisé par thèmes : la préparation avant le départ, la traversée, l’arrivée et l’installation, le déroulement des journées, les relations avec la population, les permissions et le retour provisoire dans les familles, la torture et autres exactions de l’armée…jusqu’au cessez-le-feu et le retour. Un classement quasi chronologique. Un retour sur l’histoire indispensable.

Ne nous racontez plus d’histoires. Carole Filiu-Mouhaki et Ferhat Mouhali

Un couple mixte. Lui est algérien et elle française. Elle est journaliste et lui cinéaste. Ils décident de faire un film ensemble. Sur le sujet qui leur tient le plus à cœur : la guerre d’Algérie, vue aujourd’hui des deux côtés de la Méditerranée.

Un film enquête à deux voix, qui s’interpellent, qui se répondent, qui se complètent. Un dialogue familial d’abord, mais qui prend très vite une toute autre dimension pour devenir un dialogue entre deux pays, deux visions d’une même réalité historique, les systèmes de représentations des différents belligérants. Les deux camps sont-ils enfin réconciliés ?

La guerre d’Algérie a-t-elle encore ses zones d’ombre ? Des faits inconnus, ou passés sous silence, ou oubliés, ou devenus tabous ? Que reste-t-il encore à découvrir, à mettre au grand-jour, dans cette réalité si complexe, et qui peut réveiller bien des souffrances chez les différents acteurs et leurs descendants. Faut-il réveiller les vieilles plaies ? Se sont-elles d’ailleurs jamais refermées ?

L’enquête menée par notre couple de cinéaste commence par une implication personnelle dans le cadre familiale. Carole interroge son père, pied-noir rapatrié en France juste avant l’indépendance de l’Algérie. Comment ce retour s’est-il passé ? Fallait-il partir le plus vite possible, sans attendre un dénouement inévitable ? Ou rester coûte que coûte, comme ceux qui vont devenir les activistes de l’Algérie française. Le père évoque ses souvenirs d’enfance, le choc du premier attentat. Il feuillette avec sa fille son album de famille, commente les photos de cette vie heureuse qu’il faudra abandonner.

Ferhat lui interroge sa grand-mère. Il doit insister pour qu’elle raconte les années de guerre. Elle énumère les morts, ceux qui ont été torturés et tués par l’armée française. Elle chante une chanson, la chanson de la résistance à l’occupation française. Le cinéaste propose alors beaucoup d’images de la Kabylie, des plans fixes sur les montagnes. Un hommage aux combattants de cette région.

Les deux enquêteurs s’efforcent chacun de leur côté d’évoquer les faits et de donner la parole aux différents acteurs de l’histoire. Du 8 mai 45 (le massacre en répression d’une manifestation) au déclenchement de la « révolution » algérienne (une cérémonie dans une école pour son anniversaire). Carole se rend dans un lycée dans le lot et Garonne, interroge profs et élèves. Un enseignant d’histoire insiste sur le peu de place donnée à cette guerre par les programmes et les manuels scolaires. Pas étonnant alors que les élèves en ignorent presque tout. Carole filme un cours où sont invité d’anciens soldats de l’armée française, ces appelés qui partaient en Algérie sans savoir qu’ils allaient faire la guerre. Une jeune fille pose la question « avez-vous pratiqué la torture ? ». La réponse affirmative est franche, et d’expliquer alors l’usage de la gégène. Un grand moment d’éducation.

Le film se focalise ensuite sur différentes facettes de la guerre et de ses répercussions. Des rencontres toujours signifiantes et qui donnent une vision très lucide de l’histoire. Ainsi de ce représentant des « pieds-noirs progressistes », ou ce « porteurs de valise », ces jeunes étudiants qui clandestinement venaient en aide aux algériens en France. Côté algérien ce sont des militants du FLN qui ont la parole.

A noter une séquence très documentée sur le problème des Harkis, illustrée par des images du camp de Rivesaltes dans les Pyrénées orientales où ils furent « internés » dans ce qui était un véritable camp de concentration malgré la dénégation officielle.

A propos de la guerre d’Algérie, le devoir de mémoire reste fondamental.

Les mots qu’elles eurent un jour. Raphaël Pillosio, 2024, 84 minutes.

En 1962, Yan Le Masson entreprend de filmer des militantes algériennes ayant combattu contre la colonisation française dans la guerre d’indépendance. On a longtemps considéré ce film comme perdu. En fait seule la bande-son est perdue. Les images, ces femmes algériennes interviewées en gros-plant, existent toujours. Mais que peut-on espérer faire dire à ces visages devenus muets. Ces femmes ont été filmées à leur sortie de prison. Elles avaient toutes été condamnées par la justice française pour avoir posé des bombes, commis des attentats. Le projet de Le Masson était de leur donner la parole, qu’elles reviennent sur leur rôle dans la guerre, qu’elles nous présentent leur conception de la politique et de l’action militante violente. Des propos sans doute fondamentaux pour comprendre l’Algérie, son indépendance et la place des femmes dans la société algérienne.

C’est pourquoi, un cinéaste, Raphaël Pillosio, entreprend une enquête pour les retrouver. Tâche difficile, aux résultats incertains. Que sont-elles devenues ? Et voudront-elles revenir sur cette époque tragique devant une caméra ?  Leur récit aujourd’hui, ce qu’elles ont vécu, ne court-il pas le risque de subir des altérations dues au passage du temps ?

La conclusion des entretiens avec ces femmes retrouvées – car si certaines ont disparu, d’autres acceptent de se livrer – est particulièrement pessimistes. A l’indépendance, les hommes se sont employés à les faire rentrer dans le rang, à les renfermer dans leur espace familial étroit. Sans pouvoir, sans même une reconnaissance de leur rôle dans les luttes pour l’indépendance Une fois de plus le patriarcat dominant dans les sociétés arabes aura triomphé.

De la conquête. Franssou Prenant. 2023, 74 minutes.

Un film simple dans son dispositif et son propos, un film fait tout simplement de textes et d’images.

Les textes sont des écrits d’époque – datant donc de la conquête de l’Algérie par la France coloniale. Des écrits officiels ou rédigés par des militaires ou des civils engagés dans la politique coloniale de la France. Des textes qui n’ont pas ouvertement une dimension critique, mais qui, le plus souvent involontairement, donnent des arguments aux dénonciateurs futurs du colonialisme. Des textes donc qui ne remettent pas directement en cause la conquête de l’Algérie, mais qui souvent ne peuvent pas fermer les yeux sur les actes inhumains qui y furent commis. Leurs auteurs cherchent-ils à se donner bonne conscience en révélant ce qui est considéré comme des excès – souvent présentés comme inévitables. Mais justement ce ne sont que des excès (isolés ?). La conquête elle-même n’est jamais remise en cause.

Quant aux images – du paquebot qui entre dans un port aux enfants qui jouent dans des ruelles en passant par les vues des immeubles du bord de mer d’Alger – elles ne sont pas données comme des illustrations des textes lus. Textes et images sont ici deux régimes de signification séparés. Mais des correspondances subtiles crées une unité : le film. Un film qui sans être une dénonciation ouverte, ne peut être vu aujourd’hui que comme une pièce à charge contre le colonialisme français.

Les films ouvertement anticolonialistes ne sont pas si nombreux dans le cinéma français, malgré l’existence de ces deux phares inoubliables que sont Afrique 50 de René Vautier et Les statues meurent aussi d’Alain Resnais et Chris Marker. Franssou Prenant adopte une tout autre stratégie que ses illustres prédécesseurs. Dans son film, pas d’attaques frontales, pas de critiques explicites. Mais la dénonciation est tout aussi efficace. Et le film de Franssou Prenant est malgré tout un acte de courage, dans un contexte historique où toutes les passions sont loin d’être éteintes.

Algérie du possible, la révolution d’Yves Mathieu de Viviane Candas France, 2016, 1H23

C’est d’abord un film d’histoire. Traitant de la révolution algérienne. Evoquant d’abord la guerre d’indépendance vue du point de vue algérien. Puis après les accords d’Evian, l’accession au pouvoir et son exercice par Ben Bella, premier président de la nouvelle Algérie. Pour rendre compte de tout cela, la réalisatrice alterne les images d’archives et les extraits d’entretiens avec ceux qui ont participé à ces événements, du moins bien sûr ceux qui sont encore de ce monde, tous ayant occupé des postes de responsabilité dans le FLN ou dans les différents gouvernements algériens jusqu’à la fin du XX° siècle. Et elle fait elle-même le récit en voix off des principaux évènements de toute cette période, évoquant principalement le projet mis en œuvre par Ben Bella d’autogestion des exploitations agricoles et des industries, insistant sur sa dimension révolutionnaire sans occulter les difficultés rencontrées dans sa réalisation. Une implication personnelle de la cinéaste dans son film qui va en constituer la dimension essentielle, le situant du coup en dehors du champ du film historique traditionnel.

C’est que la réalisatrice du film n’est pas étrangère à cette histoire dont elle réunit comme un puzzle les différents éléments. L’histoire de la révolution algérienne c’est aussi son histoire. Ou du moins l’histoire de son père, de ses parents. Viviane Candas est en effet la fille d’Yves Mathieu, engagé très tôt au côté des Algériens en guerre contre la colonisation française et avocat du FLN. Après l’indépendance il reste actif, en accord avec ses convictions communistes, auprès de la révolution algérienne, rédigeant en particulier les décrets de 1963 sur les « biens vacants », ses terres et ses habitations, tous ces biens abandonnés par les français pieds noirs en quittant l’Algérie. Yves Mathieu trouve la mort de façon accidentelle en 1966. Dans des conditions obscures, un camion de l’armée heurtant de plein fouet sa voiture. S’agissait-il vraiment d’un accident ? Une question que la réalisatrice pose tout au long du film. Un film qui est donc aussi, et peut-être surtout, une enquête sur cette disparition. Un certain nombre des déclarations des amis de Mathieu qu’elle recueille laissent entendre que ce n’était justement pas un accident. C’est que la situation politique de l’Algérie a changé. Ben Bella est placé en résidence surveillée après le coup d’Etat qui a porté au pouvoir Boumediene. Mathieu avait-il des contacts avec ceux qui voulaient combattre le nouveau Président. La réalisatrice, sans être catégorique, penche clairement dans cette direction.

Algérie du possible est un bon exemple de film abordant l’Histoire à partir d’une problématique personnelle, familiale en l’occurrence. Certes, Yves Mathieu peut être considéré comme un personnage historique, par son implication dans la révolution algérienne. Par l’action militante qu’il a menée toute sa vie. Mais le film l’aborde d’abord et toujours dans la relation paternelle qui a été la sienne avec la réalisatrice. Le portait qu’elle en dresse a certes une dimension historique et s’inscrit ouvertement dans l’Histoire de l’Algérie. En ce sens il interpelle nécessairement les historiens dont le rôle sera alors de discuter la version de la mort de Mathieu que construit le film. Mais le portrait d’un père par sa fille ne peut pas ne pas être considéré comme une marque d’affection. Une vision de l’histoire qui n’écarte donc pas les sentiments. Qui n’a même de valeur que grâce à leur expression.

Références

J’ai huit ans de Yann Le Masson, 1961.

Ils ne savaient pas que c’était une guerre ! (Algérie, 50 ans après !) un film de Jean-Paul Julliand, 2014, 52 minutes.

Ne nous racontez plus d’histoires Carole Filiu-Mouhaki et Ferhat Mouhali, , 2020, 88 minutes.

De la conquête. Franssou Prenant. 2023, 74 minutes.

Algérie du possible, la révolution d’Yves Mathieu de Viviane Candas France, 2016, 1H23

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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