Une image un film, El Sicario. Chambre 164 de Gianfranco Rosi (2010)
Cagoulé de noir et tout de noir vêtu, il est assis sur un fauteuil recouvert d’un drap blanc, un contraste visuel fort, même si l’image dans son ensemble reste en couleur. Sur ses genoux un cahier ou carnet blanc, ouvert et vierge. Il tient dans sa main droite un crayon – ou du moins un outil pour écrire ou dessiner. A gauche de l’écran un poste de télévision, éteint, sur l’écran duquel se reflète faiblement l’image du personnage assis. Derrière celui-ci, un mur blanc et à sa droite, entre le fauteuil et le poste de télévision, on perçoit la lumière dorée d’un éclairage au-dessus d’un lavabo et des toilettes. Une profondeur de champ réduite. Rien ne doit distraire l’attention que le spectateur doit porter au personnage. Un personnage présenté quasiment comme un fantôme. Ou une statue. Rien dans l’image ne peut indiquer son identité. Un personnage inquiétant donc. Une image globalement mortifère.
Nous sommes dans une chambre d’hôtel. Le plan est fixe. Il ne sera animé que lorsque le personnage se mettra à dessiner. Et à parler. De lui. De sa vie. De ce qu’il a été. De ce qu’il ne voudrait plus être. Une confession qui pourrait bien être posthume.
El Sicario, c’est cet exécutant des basses besognes au service d’un patron dont les ordres ne se discutent jamais. Depuis son recrutement sur les bancs de la fac, el Sicario a enlevé, séquestré, torturé, étranglé, exécuté un nombre considérable de victimes, ceux qui ne paient pas leur dette ou qui ont un problème quelconque avec le patron. Peu importe la raison. Le patron tout puissant a toujours raison, une bonne raison. El Sicario ne peut qu’exécuter. Sans discuter, sans se poser de question, sans essayer de comprendre. En échange de sa fidélité il aura de l’argent, de la drogue, des filles. Une vie facile, une vie où tout lui est accessible en dehors des lois, simplement parce que quelqu’un intervient pour lui auprès des autorités. Lorsqu’il est recruté, el Sicario n’avait pas le permis de conduire. Comme il doit passer de la drogue en voiture, en deux jour on lui apprend à conduire et un permis lui est immédiatement fourni. Et cela se passe de la même façon pour son entrée à l’école de la police. Pas question d’examen, un simple entretien suffit où le directeur se contente de lui d’affirmer que de toute façon il n’a pas le choix. Et l’absurde vient s’insinuer dans l’horreur. El Sicario raconte comment, au milieu de son travail, le patron donne l’ordre au téléphone, de ne pas achever la victime. Il faut le ranimer, le remettre sur pied. Seulement, il est déjà pas mal en point. El Sicario n’arrive pas à lui redonner vie. Le patron envoie un médecin qui réussira tant bien que mal à le retaper au bout de trois jours. Le nouvel ordre du patron tombe alors : il faut l’exécuter.
Au moment où le film est réalisé, el Sicario est en fuite, tentant d’échapper au cartel qui bien sûr a mis sa tête à prix (250 000 dollars). Cherche-t-il à se faire aider pour ne pas être retrouvé par son ancien patron ? Cherche-t-il à se faire pardonner ses crimes ? Mais pardonner par qui ? Par Dieu ? Si el Sicario est un bon conteur, c’est aussi un excellent comédien. La séquence finale du film est à cet égard exemplaire. À genoux, en larmes, il rejoue, ou plutôt il revit, la scène où, comme frappé par la colère divine, il s’engage sur la voie de la rédemption. Aurait-il enfin une conscience ? Une conscience morale ? Mais alors, comment peut-il continuer à vivre avec le poids d’une telle culpabilité ? Il s’en remet semble-t-il à la justice divine, mais n’a-t-il aucun compte à rendre à la justice des hommes ?