Je ne me souviens de rien de Diane Sara Bouzgarrou.
Un film en première personne. Un film personnel donc. Extrêmement personnel. Où la cinéaste est le seul sujet. Pas tout à fait la seule personne présente à l’écran. Mais c’est bien elle qui a la place principale. Les images de sa vie qu’elle propose, c’est elle qui les réalise. Et les autres « personnages », ses parents, son compagnon, ne sont là, dans le film, que par rapport à elle. Toujours en interaction avec elle.
Un film en première personne mais qui ne prétend pas tout à fait à être autobiographique. Il n’y a pas de dimension rétrospective. Ce n’est pas un film sur la mémoire, comme le titre le dit clairement. Les images qui nous sont proposées sont réalisées au présent. On a plutôt affaire à une sorte de journal intime. Même s’il n’est pas réalisé au jour le jour. Car il s’agit de fragments de vie personnelle. Des fragments désordonnés. Comme la vie dont ils sont issus. Présentés sans lien. Comme au hasard. Même si on peut se dire après coup qu’il y a bien quand même dans le film une mise en ordre temporelle, l’avant et l’après du passage à la clinique par exemple. Ou bien l’évocation au début du film de la révolution tunisienne. Des images de télévision qui touchent profondément la cinéaste, dans son être même, car son père est tunisien. Et elle se vit donc elle-aussi tunisienne, au point de vouloir demander la double nationalité. Une révolution qui lui procure un grand bonheur. Des événements qu’elle vit dans une grande excitation. Même si dans la suite du film, elle semble les avoir oubliés.
Diane Bouzgarrou se définit elle-même comme bi. Bisexuelle, binationale ou biculturelle, bipolaire. C’est d’ailleurs cette maladie qui va devenir le centre du film, parce qu’elle est bien sûr le centre de sa vie. Une maladie qui sera décrite par un psychiatre dans la lettre qu’il adresse à un confrère et l’ordonnance de sortie de la clinique filmée plein écran. Si le père est sollicité à propos de la Tunisie, c’est le compagnon de Diane, Thomas, et surtout sa mère qui seront là, filmés à ses côtés, partageant avec elle l’épreuve. Des amis que l’on aura vus dans le pré-générique, sablant le champagne lors d’une fête, nous n’entendrons que les messages qu’ils laissent sur le répondeur téléphonique pour prendre des nouvelles de la malade. Mais le cercle de vie de Diane se rétrécit. Et le film devient inévitablement de plus en plus intimiste.
Le film est en parfaite correspondance avec l’univers psychique de la réalisatrice. Les images sont proposées en vrac, comme elles ont été filmées, avec toutes les imperfections d’un filmage rapide, non professionnel. Un filmage qui ne recherche surtout pas la rigueur. Les décadrages sont fréquents. Les flous aussi. Parfois la caméra est posée sur un pied – quand la réalisatrice se filme elle-même en particulier. Mais cette stabilité est somme toute peu fréquente. Le plus souvent l’image est saccadée, mouvante. Et ce n’est pas un hasard si le pré-générique se termine par un montage, image par image, d’une cascade de photos d’objets des plus hétéroclites. Une séquence étourdissante.
Je ne me souviens de rien est un film qui ne cherche nullement à procurer un quelconque plaisir spéculaire au spectateur. Beaucoup de séquences sont filmées de nuit, sans lumière additionnelle et les images sont alors particulièrement sombres. L’écran est aussi souvent divisé en plusieurs cadres, ou plus exactement l’image est confinée dans un cadre dans le cadre, une image alors réduite à un petit rectangle, souvent en haut à gauche de l’écran, celui-ci restant dans sa majorité pratiquement noir, vide. Ou bien ce vide est parfois rempli par du texte, des lignes qui s’affichent lettre après lettre, comme on les tape sur un clavier. Mais elles peuvent être aussi immédiatement effacées. Des fragments encore. Comme ces pages de cahier d’écolier, où l’on entraperçoit quelques phrases manuscrites, que l’on n’a pas toujours le temps de lire.
Un film qui ne peut que bousculer le spectateur, dans sa posture de spectateur. Mais la rapidité des images, leur côté fugace, insaisissable, lui permet au fond d’échapper à une simple situation de voyeurisme.
Cinéma du réel 2017, Compétition française. Mention spécial du Jury jeune.
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