O COMME OPERA

L’Opéra, de Jean-Stéphane Bron.

Après La Danse, le ballet de l’Opéra de Paris, de Frederick Wiseman, après Relève : histoire d’une création de Thierry Demaizière et Alban Teurlai, l’institution Opéra de Paris se voit avoir en moins de dix ans une troisième fois l’honneur de faire l’objet d’un film documentaire. Il est vrai que les deux premiers ne concernaient que le corps de ballet. Jean-Stéphane Bron, lui, ne se donne pas cette restriction. Son film porte sur l’Opéra de Paris dans son ensemble, c’est-à-dire tout aussi bien la musique et l’art lyrique que la danse. Bien sûr une telle institution, véritable porte drapeau de la culture française (et ce n’est pas un hasard si le premier plan du film de Bron se situe sur le toit du Palais Garnier, au moment où justement deux hommes hissent le drapeau français), mérite tout à fait cette attention. Avec ses deux théâtres, Garnier et Bastille, il reste encore sans doute bien des recoins à explorer. Et puis, sa vie foisonnante connaît bien des rebondissements, en dehors même des créations artistiques. Vus successivement, ces trois films nous offrent un regard des plus pertinents sur ses évolutions, ses difficultés, ses changements – de direction, en particulier en ce qui concerne la danse.

Les premières séquences du film de Bron donnent le ton de ce que sera son film. La réception du Président de la République sur les marches du Palais Garnier, et la soirée de gala qui suit, la conférence de presse pour annoncer la nouvelle saison, ce sera surtout la dimension organisationnelle et les relations avec la presse, et le public aussi, qui seront le cœur du film. Bron nous propose bien des séances de répétition, de l’orchestre et des chanteurs surtout ; il nous montre bien quelques extraits des spectacles, mais beaucoup moins que les deux autres films, la plus part du temps filmés depuis les coulisses. Il s’arrête beaucoup plus sur la préparation des spectacles, par exemple à propos du taureau dans Moïse et Aaron. Du coup, le directeur de l’Opéra occupe une place prépondérante dans le film : conférences de presse (à propos de la démission de Benjamin Millepied de son poste de directeur de la danse en particulier), discussion avec son équipe à propos des négociations avec les syndicats pour éviter la grève, ou pour définir une politique des tarifs des places. Il est sur tous les fronts et le cinéaste n’hésite pas à le filmer en gros plan dans les moments de tension, accentuant ainsi le poids de la charge qui pèse sur ses épaules.

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Mais il y a un autre personnage récurrent dans le film, Micha, un jeune chanteur russe qui est sélectionné pour passer un an à l’opéra de Paris, dans une sorte de résidence d’artiste. Il est lui aussi filmé souvent en gros plan, en  particulier lors des répétitions et du spectacle final où il triomphe. Nous le suivons dans sa découverte de l’institution, des bâtiments, des personnels et des artistes qui font sa vie. Nous partageons son enthousiasme, sa persévérance au travail, ses difficultés et ses doutes aussi. Il y a là un très pertinent contre-point par rapport à la personne du directeur.

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Le film contient deux moments particuliers, qui l’inscrivent dans l’actualité et lui donnent une forte charge émotionnelle. Le premier spectacle donné après l’attentat du Bataclan d’abord, avec le discours du directeur sur la scène en ouverture et la minute de silence qu’il demande en hommage aux victimes. Et puis le concert de fin d’année de cette classe de CM2 qui depuis trois ans apprend la musique ici. Le cinéaste filme surtout ces jeunes noires, timides et réservées, dont on sent que la musique restera une grande partie de leur vie. Il y a là une pratique  éducative, certes exceptionnelle, mais qui montre bien que l’art et la culture est une ressource fondamentale dans l’épanouissement des enfants.

Comme dans le film de Wiseman, nous avons droit à des plans de coupe sur les toits de Paris vus depuis celui du Palais Garnier ou depuis les fenêtres du bureau du Directeur. Nous avons droit aussi, comme chez le cinéaste américain, au travail des femmes de ménage dans les salles de spectacles (dernier plan du film) et de celui des maquilleuses, coiffeuses, repasseuses, bref de tous ces anonymes sans lesquelles les spectacles n’existeraient pas. Mais il a y dans le film de Bron un ton particulier, une touche personnelle au cinéaste qui se concrétise dans l’insistance mise sur les personnes, du directeur au jeune chanteur russe en passant par le chef d’orchestre et les membres du chœur, mais aussi toutes ces femmes qui travaillent en coulisse, pour régler l’entrée en scènes des artistes ou simplement pour tendre un mouchoir en papier à cette chanteuse qui doit effacer sa transpiration avant de revenir devant le public. Une fonction bien banale sans doute, mais filmée avec autant de précision que le pas de deux que Benjamin Millepied montre à ses danseurs.

Filmant la vie de l’Opéra de Paris, Jean-Stéphane Bron n’explique rien, mais nous comprenons tout. C’est là tout l’art du documentariste.

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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