M COMME MORIN Edgar
Edgar Morin. Chronique d’un regard, de Céline Gailleurd et Olivier Bohler, 2014, 1H31.
Edgar Morin et le cinéma. Le cinéma dans sa vie, dans sa pensée, dans son travail intellectuel, dans ses livres. Dès son enfance il est passionné, assidu dans les salles noires. Cinéphage avant de devenir cinéphile, comme il dit. Et aussi : « le cinéma a été pour moi un refuge ». Voilà pour le côté biographique. Puis il est devenu sociologue. Comment un sociologue peut-il s’interroger sur le cinéma ? En fait ce n’est pas sous un angle sociologique qu’il l’aborde, malgré son travail sur la culture de masse. Ce qui l’intéressera toujours, c’est de comprendre le cinéma comme l’art le plus important du XX° siècle, et tout aussi bien du XXI°. Et de penser la spécificité de cet art. Ce qui nous vaut dans sa bouche une belle formule : le cinéma est l’art de la « rédemption ». Ce qu’il répètera à plusieurs reprises dans le film. Et qu’il concrétisera par bien des exemples.
Car Edgar Morin se veut connaisseur de l’histoire du cinéma. Tout au long du film on peut retirer de ses propos un itinéraire cinématographique. Son parcours, son cinéma. Depuis les origines jusque, disons, les années 1960. Car il n’évoque guère le cinéma contemporain. Apparemment les blockbusters américains ne l’intéressent pas. Ni le cinéma français d’après le Nouvelle Vague. On a l’impression (fausse sans doute) qu’il n’a plus fréquenté les salles de cinéma après son livre sur Les Stars (1957) ou celui sur L’Esprit du temps (1962). Il n’en reste pas moins que l’évocation de son parcours en cinéma ne manque pas d’intérêt. Il commence par le cinéma soviétique pour le côté épique de la révolution. Puis il insiste beaucoup sur ce qu’il appelle « l’âge d’or du cinéma allemand », citant les films de Pabst ou le Lang d’avant-guerre. D’ailleurs, une longue séquence le montre en voyage à Berlin. Plaisir de danser avec les jeunes musiciens qui font la fête dans les parcs.
S’il ne peut parler de tous les films qu’il aime (ne pas oublier Charlot quand même) le film de Céline Gailleurd et Olivier Bohler nous montre beaucoup d’images. Des extraits des films qu’il commente. Mais pas que. Beaucoup de séquences le montrent au milieu d’écrans, où sont projetés surtout des images de gros plans d’actrices et d’acteurs. Il est ainsi entouré, presque noyé, dans les images. Des images qui sont proposées même en surimpression sur des vues de ville. Et l’écran est même souvent divisé en deux pour juxtaposer sa propre image à celle des films.
La dernière partie du film, passionnante, est consacrée entièrement à « l’aventure » Chronique d’un été. Des images d’époque le montrent discutant avec Jean Rouch du projet, donnant des indications aux « personnages » du film sur le déroulement d’une séquence. Par exemple avec Marceline à propos de cette forme nouvelle d’interview qu’est le micro-trottoir. Et puis des rushes non montés dans le film nous en disent beaucoup sur ses interrogations sur le sens de l’entreprise (un cinéma non pas sociologique, mais dit-il, véritablement ethnologique), et sur sa collaboration avec Rouch. Sans oublier l’anticipation de la portée historique de ce qu’ils appellent alors le « cinéma vérité », perspective nouvelle qui sera plutôt désignée par la suite par l’expression « cinéma direct ».
Après Chronique d’un été, Morin sera sollicité pour écrire des scénarios. L’expérience ne fut pas concluante. Tant pis. Il avait sans doute mieux à faire. Reste que ses livres sur le cinéma, en particulier celui intitulé Le cinéma ou l’homme imaginaire (1956), restent tout à fait d’actualité. Preuve, les extraits qui en sont proposés ici, lus par Mathieu Almaric.
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