Rue Santa Fe, Carmen Castillo, France-Belgique-Chili, 2007, 163 minutes.
Le 5 octobre 1974, l’armée chilienne donne l’assaut à la maison de la rue Santa Fe où vivent dans la clandestinité depuis plus de 10 mois Miguel Enriquez, le dirigeant du Mir (Movimiento de Izquierda Revolucionaria – Mouvement de la gauche révolutionnaire) et sa compagne, Carmen Castillo. Miguel est tué, les armes à la main. Carmen, enceinte, est blessée par l’explosion d’une grenade. Trainée dans la rue par un soldat, elle sera sauvée par un voisin qui appelle une ambulance et la fait conduire à l’hôpital. Elle perdra son enfant, mais pourra quitter le Chili de la dictature quelques jours après, pour un long exil dans différents pays d’Europe, et finir par s’installer à Paris. Le 5 octobre 1974 est la date déterminante du film et la maison de la rue Santa Fe le lieu qui cristallise tous les souvenirs de la cinéaste.
Rue Santa Fe est un film autobiographique. La cinéaste évoque en voix off les différentes étapes de sa vie. Sa vie commune avec Miguel, une vie heureuse, malgré le danger incessant de la répression violente orchestrée par le régime de Pinochet. « C’est peut-être cela le bonheur, dit-elle, chaque seconde vécue comme si ce devait être la dernière ». Elle se filme revenant à Santiago de son lieu d’exil, retrouvant ses anciennes amies, militantes comme elle, et sa famille, son père et sa mère, ses frères et sœurs pour de longues discutions sur ces vies hors du commun. Elle retrouve la maison de la rue Santa Fe, interroge les voisins. Quels souvenirs ont-ils gardé de la journée du 5 octobre dont ils ont été les témoins impuissants. Tous se souviennent de cette femme enceinte, blessées mais sauvée par l’initiative de l’un d’eux qui défie les militaires pour la faire hospitaliser. Carmen retrouve cet homme et leur rencontre est bien sûr très émouvante. Elle voudrait racheter la maison, en faire un lieu de mémoire, un centre cultuel destiné au peuple. À la fin du film, elle se rendra compte que ce projet personnel ne concerne pas vraiment les jeunes militants qui ont repris l’action politique et la contestation sociale. Les commémorations de l’assassinat de Miguel Enriquez sont un vibrant hommage populaire. Mais les actions quotidiennes en faveur des pauvres, dans la ligne des idées du MIR, sont autrement plus importantes. Carmen se contentera de faire poser une plaque évoquant Miguel devant la maison de la rue Santa Fe.
Film personnel, faisant le récit d’une vie de militantisme et d’exil, Rue Santa Fe est aussi un film politique retraçant l’histoire d’un parti, le MIR, indissociable de celle d’un pays où les espoirs révolutionnaires de la présidence Allende furent brusquement anéantis par la dictature militaire. Beaucoup de films, à commencer par ceux de Patricio Guzmán, se battent contre l’oubli qui semble gagner le Chili depuis le retour de la démocratie. Aucun n’avait pénétré aussi profondément la ferveur révolutionnaire incarnée par le MIR. Pourtant ce regard sur une époque révolue interroge aussi le présent. A quoi une vie de militantisme, avec tant de morts autour de soi, tant de souffrances dans les tortures, à quoi cela a-t-il mené ? Les jeunes générations ne sont pas tendre avec leurs aînés. Les filles des militants exilés revenus clandestinement au Chili pour reprendre la lutte révolutionnaire, en les laissant en Europe, ne leur pardonnent pas cet abandon. Pourtant si c’était à refaire, aucun n’hésiterait à s’engager à nouveau. S’il y a de la nostalgie dans le film de la part de la cinéaste, elle n’a rien de pessimiste. Qui pourrait penser que la lutte contre la pauvreté et l’injustice sociale n’a plus de sens ? « Tant que nous serons en vie, nos morts ne seront pas morts ».
Très émouvant pour ma génération
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