Berlin based, Vincent Dieutre, 2018, 88 minutes.
Ils se sont installés à Berlin. Ils ont quitté la France, Paris, une ville où ils ne reviendront certainement pas. Resteront-ils à Berlin. Sans doute, pour quelques années encore certainement.
Pourquoi ont-ils choisi Berlin ? Y ont-ils trouvé ce qu’ils cherchaient ?
Ce ne sont pas des exilés. Encore moins des immigrés. Dans cette ville cosmopolite, ils semblent parfaitement intégrés. Ils ont trouvé leurs marques sans difficulté. Aucun ne se plaint de problèmes sociaux ou relationnels à son arrivée. Et une fois les aspects matériels résolus, Berlin est décidément une ville où il fait bon vivre.
C’est du moins ce qui ressort des entretiens menés avec ces artistes – peintres, sculpteurs, plasticiens, écrivains, etc. – que rencontre Vincent Dieutre et qui vont nous parler de ce Berlin d’après le mur et la réunification, de leur vécu dans la ville, de leur vision de cette ville qui pour eux est unique au monde. Une ville qui suscite spontanément l’inspiration. Une ville idéale donc pour la création artistique.
Au fur et à mesure de ces rencontres, au fil des discours des « Berlin Based », se construit par petites touches un portrait de ce nouveau Berlin, cette ville « expérimentale » après la réunification, où tout est encore à faire, où le champ des possibles est infini. Pour ces artistes sans contraintes professionnelles, Berlin est une fête permanente, avec sa multitude de bars et de boites où il est si facile de passer la nuit. Et le jour le calme y est impressionnant ! Avec ses grands espaces, que l’on retrouve dans aucune autre capitale européenne et que nous donne à voir l’incipit du film, des plans aériens filmés depuis un hélicoptère à bord duquel Dieutre a pris place en compagnie de Helke. Et puis les galeries se comptent par centaines. Sans parler de toutes ces caves ou autres entrepôts où il est si facile d’installer un atelier. Berlin n’a pas usurpé sa réputation d’être la capitale mondiale de l’art.
Dieutre filme donc Berlin, ses grandes avenues, ses rues presque secrètes, de quartier en quartier, un itinéraire d’ouest en est, de Kreuzberg à Mitte. Il la filme au fil des saisons, sous la pluie ou dans la chaleur de l’été où il fait bon de se dorer au soleil dans les parcs. Il prend le métro, le tram. Il réalise de longs travelings sur les façades des vitrines des rues commerçantes. Le film semble ainsi être en perpétuel mouvement. Il s’arrête pourtant dans des rues peu fréquentées. Le temps de nous laisser nous imprégner de ce calme dont il a été question. Et de déchiffrer, si possibles, les innombrables graffitis sur les murs. Une promenade apparemment sans but, en suivant les pas l’amie de Dieutre, Helke, qui peut ainsi nous servir de guide. Mais elle reste muette. Filmer la ville pour Dieutre ne nécessite aucun commentaire touristique.
Pourtant Dieutre parle de Berlin. En voix off, avec ce ton, ce rythme musical de la voie tout à fait caractéristique et que nous avons déjà rencontré dans nombre de ses films. Dieutre connaît bien Berlin. Il y est venu du temps du mur. Son récit personnel, – en première personne comme toujours – commence au passé. « Je vis encore dans le monde d’avant, je m’y accroche » dit-il. Dans la suite du film, il sera surtout attentif aux mutations de la ville. Mais le passé, ce lourd passé que tous ceux qui vivent à Berlin portent en eux, ce passé de la division, du mur, et plus loin encore le passé du triomphe du nazisme qui a fait de la ville le lieu du mal absolu, ce passé ne peut s’oublier.
Les « Berlin Based » que rencontre Dieutre sont surtout des hommes. Il y a pourtant dans le film une femme dont les propos revêtent une dimension fondamentale pour l’avenir de la ville. Elle souligne la tolérance qu’elle a trouvée à Berlin, une ouverture d’esprit maximale. « Tout le monde s’en fout que je sois gay » dit-elle. Pourtant le film se termine par l’évocation des slogans qui fleurissent sur les murs de la ville ou dans les manifestations. « Gays dehors, juifs dehors, Français dehors ». La survivance de la haine fait peur. Mais Dieutre ne veut pas se laisser dominer par la peur. Sa dernière phrase confirme la légèreté, et même la joie, qui dominait dans l’ensemble du film. « Après la nuit, soyez-en sûrs, à Berlin ou ailleurs, elle reviendra, la renaissance ».
Cinéma du réel 2019, compétition française.