Dans la chambre de Wanda, Pedro Costa. Portugal, Allemagne-Italie-Suisse, 2001, 170 minutes.
Le quartier cap-verdien de Fontainhas à Lisbonne est en cours de démolition. Les bulldozers réduisent en tas de gravats les vieilles maisons. Des hommes font s’écrouler des pas de mur à coup de masse. Un travail qui prend du temps. On n’en verra pas la fin dans le film. Pourtant il dure presque trois heures et le réalisateur a filmé le quartier pendant deux ans.

Fontainhas, un quartier de plus de 5000 habitants qui doivent partir ailleurs. On ne saura jamais où. Mais on les voit rassembler les quelques affaires qu’ils peuvent emporter, un peu de vaisselles, quelques vêtements. Des habitants que l’on croise dans des ruelles étroites, autour d’un feu improvisé où l’on dépose un gros chaudron. Il y a quelques enfants. Ils ne semblent pas être engagés dans des jeux. Les adultes que nous suivons dans le film, eux, s’adonnent pratiquement tous à la drogue, à toutes les drogues possibles, même les plus inimaginables.

Le cinéaste nous introduit dans une de ces habitations condamnées dont on ne voit pratiquement que la chambre. C’est là que vit Wanda. Cette Wanda, c’est Wanda Duerte, l’actrice principale du précédent film de Costa, Ossos. Ici elle joue son propre rôle. C’est-à-dire qu’elle ne joue pas. Elle vit dans sa chambre. Elle n’en sort que pour essayer de vendre des salades ou des choux aux habitants du quartier. La plupart n’achètent pas parce qu’ils n’ont pas d’argent. De toute façon Wanda sort rarement de sa chambre. Elle reste le plus souvent allongée sur son lit, bavardant de tout et de rien avec sa sœur Zita, sa compagne de dope. Elle fume sans arrêt, tousse, crache, vomit. Elle a du mal, à respirer. Peu importe. Comme tous les junkies elle ne peut pas se passer de drogue. Comme les quelques visiteurs qui viennent la voir et qu’elle essaie d’aider. « C’est la vie qu’on a voulu » dit-elle. « C’est la vie qu’on est obligé de vivre » répond le jeune noir assis devant elle.

La totalité du film est réalisé en plans fixes, souvent très longs. Le plus souvent l’image est sombre. Les pièces ne sont éclairées que par des bougies. Le cinéaste utilise une petite caméra mini DV, qui lui permet de passer quasiment inaperçu. Dans les pièces comme la chambre de Wanda, il n’y a aucun recul. Les cadrages seront donc toujours les mêmes. Ceux qui sont filmés, qui ont accepté d’être filmés, ne prêtent aucune attention à cette présence qui s’insinue dans leur intimité, une intimité qu’ils ne semblent pas vouloir préserver, comme si elle ne valait pas la peine de rester personnelle. Le cinéaste ne perturbe rien. Il se contente de filmer toujours les mêmes scènes, les mêmes gestes (prendre de la drogue), les mêmes actions dérisoires ou absurdes, comme le « Rouquin » qui s’applique à balayer la pièce qui va être détruite dans les jours qui viennent.
Dans la chambre de Wanda n’est pas un film intimiste. Cette chambre est à elle seule un monde. Le monde de la drogue, mais aussi celui de la misère. Un monde que les villes modernes s’efforcent de faire disparaître de leur paysage.

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