Jean Genet, un captif amoureux. Parcours d’un poète combattant. Michèle Collery, 2017, 74 minutes.
L’enjeu du film est énoncé dès l’incipit, par Genet lui-même : comprendre son retour à l’écriture alors qu’il est resté une vingtaine d’années silencieux.
Genet a écrit ses livres en prison. Pour sortir de la prison dit-il. Ayant retrouvé sa liberté, pourquoi écrire ? Sa rencontre avec les combattants palestiniens, le drame de Chatila, son voyage aux Etats-Unis pour soutenir les Black Panthers, seront les éléments déterminants.

Le film de Michèle Collery a comme premier intérêt – un intérêt incommensurable – de donner lecture, par la voix incomparable de Denis lavant, de larges extraits du dernier livre de Genet, Un Captif amoureux. Une voix qui donne toute la mesure de la poésie du texte et de sa charge émotive étonnante, bien que l’acteur ne cherche nullement à y mettre du pathos.

Le parcours qu’évoque le sous-titre du film, nous le suivons essentiellement en compagnie de l’amie de Genet, Leila Shadid, depuis leur entrée dans le camp palestinien de Chatila à Beyrouth ouest, trois jours après le massacre perpétré par les milices chrétienne sous la protection de l’armée d’occupation israélienne, jusqu’au cimetière de Larache au Maroc où repose Genet près de la mer. Un parcours d’engagement politique, de combat. Près des Fédayins, comme les Palestiniens étaient désignés dans les années 70, avec ces images d’archives de ces jeunes combattants se préparant au combat dans le désert. Puis au service des Black Panthers, lors d’un voyage en Californie qui sera pour lui l’occasion de rencontrer Ginsberg et Angéla Davis. Nous avons alors le plaisir de voir Genet dans un extrait du film que Carole Roussopoulos réalisa, Genet parle d’Angela Davis. Une dénonciation particulièrement violente du racisme antinoir américain : « Angela Davis est dans vos pattes. Tout est en place. Vos flics – qui ont déjà tiré sur un juge de façon à mieux tuer trois Noirs -, vos flics, votre administration, vos magistrats s’entraînent tous les jours et vos savants aussi, pour massacrer les Noirs. D’abord les Noirs. Tous. Ensuite, les Indiens qui ont survécu. Ensuite, les Chicanos. Ensuite, les radicaux blancs. Ensuite, je l’espère, les libéraux blancs. Ensuite, les Blancs. Ensuite, l’administration blanche. Ensuite, vous-mêmes. Alors le monde sera délivré. Il y restera après votre passage, le souvenir, la pensée et les idées d’Angela Davis et du Black Panther. »

Si le film insiste ainsi beaucoup sur les combats politiques de Genet, la dimension littéraire de sa vie n’est pas pour autant oubliée. Le film propose beaucoup de documents iconographiques, des photos de Genet participant à des manifestations aux Etats-Unis et même un extrait rare d’une émission de télévision. Les couvertures de ses principales œuvres sont présentées, ses romans et poèmes, sans oublier son théâtre. Les interventions des commentateurs sont toujours sobres, mais précises, et rendent parfaitement justice à l’homme autant qu’à l’œuvre.

La cinéaste propose aussi un certain nombre de citations de films, comme les images de Varda sur les Black Panthers ou celles de Godard sur les Palestiniens. Elle reprend aussi ce passage du film de Richard Dindo, l’évocation particulièrement émouvante de cette nuit passée par Genet dans la maison d’un Fedayin parti au combat. La mère lui porte un café, sans un mot, comme elle le fait toutes les nuits pour son fils. Et Genet dit dans son livre être lui-même devenu, pour une nuit, le fils de cette femme plus jeune que lui.

Gageons que ceux qui verrons le film de Michèle Collery se précipiteront pour lire Un captif amoureux, ce livre si particulier, unique dans l’œuvre de Genet, mais aussi sans doute dans toute la littérature du XX° siècle.
VOIR : Genet à Chatila de Richard Dindo :
https://dicodoc.blog/2019/11/16/p-comme-palestiniens-chatila/
Bonjour, je suis la réalisatrice du film « Jean Genet, un captif amoureux, parcours d’un poète combattant ». Tout d’abord, je vous remercie infiniment pour votre analyse pertinente qui me va droit au coeur.
Je souhaiterais juste apporter un petit correctif : le passage où la mère apporte un café à Genet dans la chambre du combattant n’est pas extrait du film de Richard Dindo mais, pour le texte lu : du livre de Genet lui-même « Un captif amoureux » sur des images d’archives de Masao Adachi et Kōji Wakamatsu (Armée rouge – Front Populaire de Libération de la Palestine : Déclaration de guerre mondiale – 1971).
Encore bravo pour votre blog !
Michèle Collery
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