S COMME SAKINA.

Sakina. Sarah Mallegol et Clément Postec, 2020, 35 minutes.

Une jeune femme seule au volent de sa voiture. Cadrée en plan rapproché, de profil. On ne voit que son visage. Derrière elle l’image est flou. On devine tout juste d’autre véhicule qu’elle croise ou qui la double. Et les lumières de la ville, la nuit.

Un cadrage unique dans tout le film, un visage que nous ne quitterons pas. Le film n’est pas un plan-séquence au sens technique du terme – un plan unique sans aucun raccord. Mais il n’y a bien qu’une seule séquence dans le film, entièrement réalisé à l’intérieur de la voiture, cadrant toujours de la même façon le visage de la conductrice. Malgré les coupures – que le montage ne cherche d’ailleurs nullement à masquer – nous ne voyons qu’un seul plan. Sakina est bien un film plan.

Une voiture roule dans une ville, la nuit. Elle est conduite par une jeune femme que nous accompagnons dans son déplacement. Où va -t-elle ? Le film n’en dit rien. Il exclut totalement la notion d’itinéraire – avec un point de départ et un point d’arrivée. La voiture est en mouvement, un point c’est tout – à chaque arrêt à des feux rouges, elle repart. La conductrice se déplace, dans une intention, un projet dont nous ne serons rien. Ou bien alors elle a pris sa voiture pour rouler dans la ville, sans but, simplement pour rouler. Mais qu’elle soit filmée dans ce déplacement, cette errance nocturne, correspond parfaitement à ce qui va être dit d’elle, ce qu’elle va dire d’elle-même.

Car tout en conduisant sa voiture, la jeune femme parle, nous parle par l’intermédiaire d’une caméra qu’elle ne regarde jamais, mais qui n’est pas pour autant oubliée. Car si elle parle, c’est bien parce qu’il y a un appareil qui enregistre son discours et qui pourra le diffuser. Car bien sûr il n’y a rien de naturel dans le fait qu’une jeune femme seule au volant de sa voiture parle d’elle, de sa vie, de son identité.

Le point le plus fort du film est alors l’affirmation de l’identité de cette jeune femme qui s’appelle Sakina. Et le film se terminera par la répétition, une dizaine, une vingtaine de fois, de cette simple phrase : « je m’appelle Sakina ».

Durant le film, Sakina aura eu l’occasion de détailler son identité.

Elle est écrivaine. Dès ses premiers mots elle évoque ses difficultés d’écriture, pour terminer un livre, une œuvre. Mais sa parole, dans la suite du film, pourrait très bien constituer la substance d’un texte écrit. Un texte autobiographique, centré sur ce qu’elle veut nous dire de son identité.

Elle a 24 ans. Elle est née à Saint-Germain en laye. Elle a grandi à Clichy sous-bois. Elle est d’origine algérienne. Elle est musulmane et lesbienne.

Et elle insiste beaucoup sur son origine, sa religion et son orientation sexuelle. Façon de nous faire comprendre que ce récit personnel dans un film n’est pas une quête d’identité, une recherche de soi, une tentative de découvrir ce que l’on est réellement. Non. Il s’agit bien plutôt pour Sakina, d’affirmer son identité, de s’affirmer comme d’origine algérienne, musulmane et lesbienne. Une identité qu’elle revendique, qu’elle assume quelles que soient les représentations – les préjugés, les a priori – qui peuvent être associées à chacune de ses composantes. « Je m’appelle Sakina ». Quand elle répète cette simple phrase à la fin du film, tout est dit. Il n’y a rien d’autre à ajouter.

Au bout des trente minutes de ce film court, nous avons fait une rencontre. Sakina ne nous est plus une inconnue.

Côté court, 2020.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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