Fils de Garches. Rémi Gendarme-Cerquetti, 2020, 90 minutes.
Un film sur le handicap, réalisé par un cinéaste lui-même handicapé. Et qui est présent dans son film en tant qu’handicapé.
Un petit air d’autoportrait, presque. Une dimension autobiographique en tout cas. Un regard de l’intérieur. Un vécu personnel. Le handicap comme le cinéma documentaire n’en avait jamais parlé. Parce qu’ici, il n’y a pas de regard extérieur. Ce qui implique aussi qu’on ne devrait pas parler du film comme un film « sur » le handicap.

Mais aussi une enquête sur des handicapés, des amis du cinéaste, qui ont le même handicap que lui et qu’il a connu dans un hôpital spécialisé, à Garches, où les soins prodigués leur ont permis de vivre. Une enquête sur la mémoire, puisqu’il s’agit d’évoquer ce passé particulier, le séjour (ou les séjours) à Garches, les soins reçus, les souffrances et les espoirs, non pas d’une guérison dont on sait qu’elle est impossible, mais d’une vie qui ne serait pas seulement entravée par le handicap physique.

Recueillant la parole de ses « frères en handicap », le réalisateur ne vise certes pas à expliquer le handicap, à développer un savoir sur le handicap. Pourtant il rencontre aussi, à Garches, des soignants, un orthopédiste en particulier, spécialiste des corsets faits sur mesure et qui permettent aux paralysés de tenir presque assis dans un fauteuil roulant. Mais il s’agit surtout d’évoquer cette expérience du corset et les douleurs qu’il occasionnait. « On nous faisait mal pour notre bien » dit le cinéaste. Un vécu commun qui ne sera jamais oublié.

Dans son enquête, le cinéaste rencontre aussi des parents, une mère et un couple, ses propres parents. Eux-aussi font un exercice de mémoire. Comment ont-ils pris connaissance du handicap de leur enfant ? Une expérience particulière, terrible, puisque on leur dit que ce bébé, leur enfant, ne survivra pas au-delà de deux ans. Une sentence sans appel ? Aujourd’hui, ces enfants-là ont entre 30 et 40 ans. Ils ont fait des études. Ils ont pu conquérir leur autonomie. Rémi est devenu cinéaste et développe une œuvre originale. Son Fils de Garches fera date dans le traitement cinématographique du handicap.

Car le film est aussi une recherche au niveau de la forme. Et ce, à plusieurs niveaux.
D’abord il nous donne à voir le dispositif particulier utilisé par le cinéaste-handicapé, cette caméra installée sur son fauteuil roulant qui fait de lui un preneur d’image, un « chef op » comme on dit dans la profession.
Ensuite il nous propose une visite particulière de l’hôpital de Garches, une visite pleinement visuelle, avec de longs panoramiques sur les façades. Une approche purement cinématographique de l’architecture.
Enfin, le film est rythmé par une performance musicale, exécutée par un contrebassiste, sur une terrasse et la cour intérieure de l’hôpital. Une improvisation tout à fait en phase avec le film.

La séquence finale nous parle du téléthon. Le cinéaste et ses parents regardent l’enregistrement de sa première édition. Une archive riche en enseignement sur les modalités de mise en scène de la charité collective entièrement médiatisée. Mais, comme le dit la mère de Rémy, l’émission a aussi permis aux handicapés de devenir socialement visibles.
Que la différence occasionnée par un handicap ne soit plus le prétexte d’une exclusion, reste encore aujourd’hui un enjeu social fondamental. Le film de Rémi Gendarme-Cerquetti contribue sans aucun doute à faire évoluer les choses dans ce domaine.
