Les damnés, des ouvriers en abattoir. Anne-Sophie Reinhardt, 2020, 65 minutes.
Le travail en abattoir, nous en avions déjà appréhendé la dangerosité dans le film de Manuela Frésil, Entrée du personnel. Au moment où la question du bien-être animal est de plus en plus médiatisée et présente à l’Assemblée nationale.

Le film de Anne-Sophie Reinhardt, donne donc la parole à ces travailleurs de la mort animale. Des paroles qui enfonce systématiquement le clou à propos de ce travail particulièrement inhumain – et déshumanisant – qui ne laisse intact ni le corps ni l’esprit. Un métier qui nous fait redécouvrir le sens fort du mot aliénation – être un autre que soi – puisqu’il ne peut s’effectuer qu’en dissociant son esprit de son corps et de la situation présente.

Il y a beaucoup de point commun entre toutes ces différentes interventions. Ce qui dresse un tableau effrayant, sans concession, ni pour les patrons ni pour le système qui permet qui permet cette forme d’exploitation extrême.
Un simple résumé de ce qui n’est présenté presque que comme des constatations fait réellement froid dans le dos. Un métier donc que l’on ne choisit pas, que l’on fait que parce qu’on ne peut pas faire autre chose. Un métier dans lequel on entre que pour quelques temps, quelques semaines au plus et que l’on n’a quitté pas au bout de 10, 20, 30 ans. L’abattoir, un lieu qui ressemble à un asile, où cette « industrie de la mort » ne peut que conduire à la folie.

Les descriptions de la chaîne de travail sont particulièrement précises, un réalisme aveuglant. Et pourtant on ne voit aucun animal mort dans le film, aucune carcasse, même pas le moindre petit steak. S’il y a bien quelques images d’animaux -un chien, une vache et quelques chevaux – il sont filmés dans la forêt, derrière des buissons, presque flous. La souffrance ici, c’est d’abord celle des hommes, avant d’être celle de l’animal.
L’originalité du film, c’est de filmer ces travailleurs dans une forêt, loin de l’abattoir donc, loin – très loin – de leur lieu de travail. Du coup leur parole est presque apaisée, sans colère en tout cas. Sauf ce moment particulièrement fort, où Mauricio, cet immigré italien, dénonce sans pouvoir retenir ses larmes, le fait de devoir tuer des vaches prêtes à mettre bas et de devoir « jeter à la poubelle » leurs veaux de déjà 25 kilos. Si tous essaient de ne pas se présenter en victimes, on sent bien pourtant que leur vie ne peut que se résumer dans ce métier où ils ne trouvent aucune bribe de bonheur.

Alors, le film est-il une réponse à ce procès, montré en quelques images dans l’incipit, où des travailleurs d’abattoir sont poursuivis en justice pour maltraitance animale ?
Un de ces travailleurs dira dans le film, parlant des vaches qu’il regarde dans les yeux avant de leur administrer le coup mortel : « Je pleure avec elles ».
Fipadoc 2021