Taxiway. Alicia Harrison. France, 2013, 60 minutes.
Les chauffeurs de taxi newyorkais sont-ils tous issus de l’immigration ? Beaucoup sans doute. Toujours est-il que ceux qu’Alicia Harrison a filmés le sont. Un film entièrement tourné dans des taxis. Nous sommes à côté du conducteur que nous voyons donc de profil. Parfois il y a un passager à l’arrière. Mais le plus souvent ils n’interviennent pas. Nous voyons défiler les rues, les trottoirs, les façades des immeubles, les vitrines des boutiques derrière le chauffeur. La caméra peut aussi cadrer la rue devant le véhicule, des rues et des avenues où il y a souvent beaucoup de circulation, beaucoup de taxis d’ailleurs. Ces plans sont suffisamment larges pour nous faire littéralement visiter la ville. La voir comme ces travailleurs de la rue la voient tous les jours, dans tous les quartiers, dans les avenues commerçantes où il y a beaucoup de piétons sur les trottoirs. Dans d’autres rues, il y a presque personne. Les buildings sont moins hauts. Il y a même des arbres en bordure des voies de circulation.

Le film nous propose une série de portraits de ces chauffeurs, tous immigrés, venant d’Inde (la seule femme), du Ghana, de Colombie, du Maroc, du brésil ou d’Ouzbékistan. Tous sont contents de leur travail, « a good job », tous parlent anglais, tous connaissent parfaitement la ville, tous ont le sens de l’entraide. Leur taxi, c’est un peu leur maison. S’ils, parlent de leur métier, ils parlent aussi d’eux, de leur enfance, malheureuse, dans un lointain pays, dans des familles nombreuses. Ils évoquent plutôt rapidement les difficultés rencontrées à leur arrivée. Ils ne s’appesantissent pas sur ce côté négatif. Maintenant on les sent intégrés, sans doute grâce à leur travail. Venir aux Etats Unis les a rendus plus forts, capables d’affronter les difficultés seuls, de se battre seuls sans compter sur personne. Ce qui ne supprime pas le problème du racisme. L’un d’eux raconte comment, alors qu’il écoutait à la radio une émission très critique vis-à-vis de Bush, le passager à côté de lui finir par lui dire « tu n’es même pas américain ». A quoi il répondit « je suis plus américain que toi. Moi j’ai choisi de le devenir. Toi tu es né ici ». Il y a beaucoup de bon sens dans leurs récits, beaucoup de réflexion philosophique aussi. « La circulation c’est comme la vie, il faut traverser les épreuves avant d’arriver au paradis. » la cinéaste intervient peu. Elle pose quand même parfois quelques questions. Mais on sent qu’elle a créé une relation d’intimité avec ses interlocuteurs. L’un d’eux l’appelle par son prénom. Un autre s’étonne qu’elle dise avoir 18 ans au moment des attentats de 2001. « Tu es si jeunes ».
Tous ces personnages sont plus attachants les uns que les autres. Les anecdotes qu’ils racontent sont souvent drôles. Comme Neeru, originaire d’Inde. Il n’y avait pas de prénom sur son passeport. Alors le service des licences de taxi a noté FNU pour « First Name Unknown ». Depuis, on lui dit « comment ça va Fnu ? » Le marocain a un ami d’enfance qui lui a immigré en Italie. Au téléphone il l’appelle Taxi Driver, et il raconte cela en imitant la voix de De Niro. Un autre moment montre un chauffeur qui ne parle pas parce qu’il écoute attentivement un concerto de Mozart. Un autre chante My Way qu’il connait par cœur. De petites surprises qui font tout le sel de ces voyages en taxi.

Mine de rien, le film construit par petites touches une vision de la spécificité de New York. A un feu rouge, un groupe de photographes et de cinéastes investissent la chaussée devant le taxi arrêté. Une femme habillée de cuir noir pose devant eux, dos à la caméra de la réalisatrice qui filme la scène depuis le taxi. Quand le feu redevient vert, le groupe disparaît aussi rapidement qu’il était entré dans notre champ de vision. Certains plans ne sont pas sans rappeler Le New York New York de Depardon, comme ce travelling sur un pont ou celui montrant les lumières de la ville dans la nuit.
Taxiway est un film résolument optimiste, sans jamais tomber dans la niaiserie de l’évocation du rêve américain. Simplement, Alicia Harrison a rencontré des immigrés heureux. Et cela est particulièrement réconfortant.