Tous au Larzac. Christian Rouaud. France, 2011, 118 minutes.
Le mouvement de protestation contre l’extension du camp militaire du Larzac reste quelques trente ans après son épilogue un mouvement exemplaire. D’abord parce qu’il fut enfin, après des années et des années de lutte, plus d’une dizaine en fait, couronné de succès, en grande partie grâce à la persévérance de ses acteurs initiaux, les habitants du Larzac eux-mêmes. Mais aussi parce qu’il a su, sur cette durée au fond anormale – ou du moins atypique – se renouveler au fil des difficultés et des obstacles rencontrés, pour devenir un creuset particulièrement inventif dans le domaine de la pensée et de l’action contestatrice ainsi qu’une expérimentation constante de nouvelles formes de vie en société.

Rappeler l’histoire de ce mouvement à la fin de la première décennie du XXI° siècle ne peut guère être perçu comme un acte de courage politique. Ce n’est pas non plus en soi le signe d’une audace cinématographique. Pourtant un tel projet ne va pas immédiatement de soi. Certes il peut se réclamer d’une visée historique dans laquelle le cinéma, par son travail sur les archives, a depuis longtemps gagné sa légitimité. Mais peut-on considérer un tel film uniquement comme un film historique ? N’a-t-il pas aussi une dimension politique et sociale actuelle ? Du coup, un tel film, comme beaucoup de ceux qui abordent les luttes sociales récentes, ne peut échapper au difficile problème des rapports entre histoire et actualité. Y a-t-il des leçons à tirer de l’histoire Le passé peut-il éclairer le présent ? Le mouvement concernant le Larzac peut-il servir de référence, éclairer voire orienter, un mouvement comme celui qui s’est développé à Notre Dame des Landes ?

Le Larzac, qu’est-ce que c’est ? Un vaste plateau situé en Aveyron, aride et en voie de désertification, mais encore peuplé par quelques paysans éleveurs de brebis. En 1971, le ministre de la Défense de l’époque, décide d’exproprier une bonne partie de ces paysans pour étendre la superficie d’un camp militaire existant. Ces paysans particulièrement attachés à leur terre, surtout ceux qui y ont toujours vécu, mais aussi ceux qui étaient alors plus récemment installé n’acceptent pas une telle décision venue d’en haut sans aucune concertation et entrent en « résistance ». Ils seront très vite rejoints par tous les contestataires de l’époque, maoïstes ou appartenant à d’autres groupuscules vivant encore dans l’esprit de mai 68. Ce qui pouvant alors apparaître comme une alliance contre nature déboucha en fait très vite sur un consensus fondé sur l’action non violente. Les manifestations se succédèrent, A Millau, Rodez, puis Paris où les brebis occupant le Champ de Mars firent grande impression ! Des comités Larzac furent créés un peu partout en France et le slogan Gardarem lo Larzac réussit à fédérer tout ce que la France de l’époque pouvait compter d’opposant au pouvoir, bien au-delà des contestataires ou « révolutionnaires » post-68. Et cela dura dix bonnes années, jusqu’à ce que l’élection de Mitterrand et l’arrivée au pouvoir de la gauche annonce l’annulation des textes créant le nouveau camp militaire et permit la fin des hostilités.

Le film de Christian Rouaud reprend la formule qu’il avait déjà exploitée à propos du conflit Lip : l’alternance et le savant montage des images d’archives issues des actualités de l’époque et des entretiens réalisés plus de trente ans après les événements avec leurs protagonistes directs, du moins ceux qui ont survécu au temps, puisque Guy Tarlier, un des principaux meneurs de la lutte, est décédé au moment de la réalisation du film. Ceux-ci sont filmés sur les lieux même où les principales actions se sont déroulées ce qui confère un surcroit de crédibilité à leurs souvenirs.