Marguerite Duras, l’écriture et la vie. Lise Baron, 2021, 61 minutes.
Les identités de Mona Ozouf. Catherine Bernstein, 2020, 52 minutes.
Deux femmes d’excellence, qui laissent leur empreinte dans leur discipline respective : la littérature et le cinéma d’un côté ; l’histoire et la philosophie de l’autre. Deux femmes pourtant que rien ne rapproche, ou pas grand-chose. Deux femmes dont les chemins ne se sont pas croisés. Deux femmes si différentes dans leur personnalité qu’il ne peut être question de rien d’autre que de montrer leurs différences. Les opposer donc, mais c’est bien trop facile. L’enfance en Indochine versus l’enfance en Bretagne par exemple. Mais ce petit jeu des oppositions ne peut être que stérile. Au mieux – ou au pire – un étalage d’érudition.
Si la confrontation peut avoir quelque fertilité, c’est plutôt du côté du cinéma qu’il faut se tourner.

Deux films portrait donc, qui peuvent résulter du même type de projet. Faire le portrait d’une femme célèbre, dire tout – ou le plus de chose possible – de leur vie, en partant de leur enfance et de leur famille. Eclairer leur œuvre par leur personnalité. Donc mieux les connaître. Dire d’elles ce que les médias -ou l’opinion publique – ne dit pas. Aller dans leur intimité profonde, au-delà des apparences.
Un même projet cinématographique, mais qui, à l’évidence, ne peut pas être mis en œuvre de façon identique. L’une est disparue depuis bien des années ; l’autre est bien présente face à la caméra.

Le film de Catherine Bernstein est au fond un autoportrait, même si Mona Ozouf n’en assure pas la réalisation. Mais elle occupe l’image du début à la fin. Elle apparaît à l’image presque toujours dans le même cadrage. Et elle parle. Un monologue où la cinéaste n’intervient oralement qu’en une ou deux rares occasions. Pourtant la philosophe ne se parle pas à elle-même. Elle s’adresse bien à des interlocuteurs potentiels. La réalisatrice ajoute même des séquences où la parole de Mona Ozouf est enregistrée et diffusée en off. Des passages où la philosophe veut visiblement exprimer sa pensée avec le plus de rigueur et de précision possible. Du coup, le film peut être considéré comme un bilan. Le bilan d’une œuvre et d’une vie. Ce qui reste au fond particulièrement paradoxal. Dans l’incipit du film, Mona Ozouf dit sa réticence à être filmée, son hésitation à accepter le projet de la cinéaste. Et pourtant, elle joue le jeu avec une grande sincérité et beaucoup e spontanéité. Preuve que la cinéaste a gagné sa confiance. Et réussit à transcender la présence actuelle en éternité. Dans le film, Mona Osouf est immortalisée.
Immortelle, Duras l’est aussi, bien évidemment. Mais elle n’avait pas besoin du film de pour accéder à l’éternité.

Dans le film, la présence de Duras n’est possible que par l’intermédiaire des archives – médiatiques en l’occurrence – ou de la mémoire de celles et ceux qui l’ont connue et fréquentée. Bien sûr la cinéaste a opéré des choix pour ne retenir que ce qui lui permet d’appuyer son propos. Car bien sûr, elle a une idée derrière la tête, et elle va construire son film en fonction de cette idée. Du coup, son film n’a rien de l’autoportrait. Nous ne pouvons alors approcher Duras qu’à travers l’image que nous en donne une cinéaste à partir des traces que l’écrivaine a laissé d’elle dans les médias. Ce qui ne veut pas dire que cette image soit nécessairement fausse. Mais de toute façon parler de vérité ici n’aurait pas non plus de sens.

Paradoxalement, la parole de Mona Ozouf n’est en aucune façon une confession, alors qu’il y a dans le film sur Duras des moments où elle se « confesse », à propos principalement de son addiction à l’alcool. La cinéaste donne d’ailleurs une place privilégiée dans son film à ces moments relativement pénibles à écouter. On est très loin de la simplicité avec laquelle Mona Ozouf parle d’elle-même. Mais à propos de Duras, le terme simplicité n’a pas de sens. Ce qui ne veut pas dire que la pensée d’Ozouf manque de profondeur. Bien au contraire, sa vision de la Révolution française est des plus subtile. Seulement, si sa pensée est si facilement accessible, c’est tout autant grâce au filmage de Catherine Bernstein qu’aux vertus de l’expression de la philosophe.

Sans archive – à l’exception de quelques photos présentées par l’intéressée elle-même – sans l’intervention de proches ou de témoins, Catherine Bernstein nous propose un autoportrait de Mona Ozouf d’une fraicheur et d’une vitalité telles que c’est bien un dialogue qui s’établit avec les spectateurs. Moments rares de compréhension et donc d’échange.