Roland Gori, une époque sans esprit. Xavier Gayan, 2021, 70 minutes.
Filmé seul, dans son salon, Roland Gori parle. Et nous l’écoutons avec ravissement.
Sa parole est exigeante. Elle demande une écoute attentive, une vraie écoute qui est d’abord un échange. Une parole qui nous apprend – qui nous réapprend – à écouter. Et le film participe pleinement de cet apprentissage. Un film où rien ne nous distrait de l’écoute de la parole de celui qui est filmé.

Roland Gori est psychanalyste. Il nous parle d’abord de la psychanalyse, de la méthode analytique, de ce qu’il nomme une tragédie. Car « ce n’est pas la raison qui nous gouverne ». Il n’en reste pas moins, qu’en toutes circonstances, « il faut faire confiance à la vie ».
En psychanalyste, Roland Gori cite Freud et Lacan, mais aussi Otto Rank. Il fait référence aussi à Proust et Stendhal. Et à celui qui accompagne sa pensée, Walter Benjamin.

Roland Gori est un penseur engagé. Pour lui, la philosophie n’a de sens que si elle permet de transformer le monde. Preuve, le lancement de « l’appel des appels » qui vise à fédérer toutes les revendications légitimes de tant de domaines qui souffrent du néolibéralisme actuel, que ce soit dans le monde des soins ou celui de l’éducation, dans la justice comme dans l’information. Un néolibéralisme qui nie la pensée, la remplaçant par les chiffres et les calculs de rentabilité. Se constitue ainsi un collectif national « pour résister à la destruction volontaire et systématique de tout ce qui tisse le lien social. » Une résistance qui est le seul moyen d’affirmer la liberté de pensée indispensable à la vie.

Rolland Gori est marseillais. Xavier Gayan le film dans sa ville, sur le vieux port achetant du poisson. Il filme aussi la ville elle-même. Des images qui sont plus que des moments de respiration au sein de la parole. Elles font partie de la parole elle-même, dans leur simplicité éclatante.

Roland Gori n’est pas seul dans son combat. Le film nous présente quelques-uns de ses compagnons et recueille leur témoignage. Ainsi ses éditeurs Henri Trubert et Sophie Marinopoulos (Les Liens qui libèrent), la philosophe et académicienne Barbara Cassin, le médecin hospitalier Marie-José del Volgo (épouse de Roland), le directeur du théâtre Toursky à Marseille Richard Martin. Tous apportent leur pierre dans cette lutte contre les évaluations généralisées et contre tous les intégrismes.

Roland Gori est aussi un brillant orateur, comme le montre cet extrait d’une conférence où il stimule l’attention de son public par deux histoires drôles où les experts qui se veulent dominateurs sont en fin de compte les dindons de la farce.

Roland Gori dénonce inlassablement ce monde sans esprit qui est le nôtre. Dans cette dictature du profit, le cinéma ne serait-il pas un des derniers lieux où la pensée est encore vivante ? Avec des films comme celui de Xavier Gayan certainement.
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