Auxence Contout est très connu en Guyane, mais bien sûr pas par tous les Guyanais, car ce territoire rassemble de multiples cultures. Il est surtout l’exemple d’un Guyanais d’origine modeste qui, bénéficiant d’une bourse pour aller étudier à Paris après la seconde guerre mondiale, est devenu par la suite une référence et a permis de transmettre la tradition d’une culture riche. C’est en Guyane qu’a été écrit le premier livre en langue créole et très peu de personnes le savent même dans le monde créolophone alors que ce roman intitulé Atipa est reconnu comme œuvre représentative de l’humanité par l’Unesco et a été la base de travail d’Auxence Contout.
C’est en février 2006, que j’ai rencontré pour la première fois Auxence Contout durant le tournage de mon documentaire Rencontres en Guyane. (J’aurais pu le rencontrer en 1986, au collège dans lequel il était proviseur – et qui porte aujourd’hui son nom – si ma mère n’avait décidé de m’envoyer dans le privé. Bien sûr à cette époque il m’était parfaitement inconnu, j’avais 11 ans.) C’est l’assistant réalisateur Fabrice Clotilde, lui-même Guyanais, qui m’a dit qu’il fallait le rencontrer, car c’était une personne qui possédait un grand savoir sur la Guyane.
Je l’ai filmé chez lui pendant 1H30, il venait alors de fêter ses 81 ans, mais nous avons finalement pris la décision avec le monteur Thomas Marchand de ne pas le retenir, car ça ne fonctionnait pas pour ce film.
J’ai repensé à cet entretien pendant des années, et plus le temps passait, plus j’étais convaincu qu’il fallait réaliser un documentaire sur lui. Puis j’ai eu la chance de rencontrer la productrice Laurène Belrose en 2017. Quand je lui ai parlé de ce projet elle m’a dit qu’elle était emballée. (Elle avait longtemps vécu en Guyane et comme moi, y avait grandi, nous étions au même collège sans nous connaître). J’étais alors invité en Guyane pour présenter mon film précédent Rencontres en Guyane au festival Migrant Scène organisé par la CIMADE et j’ai appelé Auxence Contout.
C’est encore Fabrice Clotilde qui maintenant filmait le journal télévisé qui s’est débrouillé pour avoir son numéro. Auxence Contout allait vers ses 93 ans. Il ne se souvenait pas du tournage de 2006, mais il m’avait vu au journal télévisé le midi où j’étais invité pour parler de mon film et il m’a dit que j’étais maintenant entièrement Guyanais, car avec ce film j’avais servi la Guyane. Ça revient très souvent dans la bouche des Guyanais « Être Guyanais, c’est agir pour le pays ».
Auxence Contout était un homme âgé, toujours très actif, continuant son travail, mais l’âge était là, il fallait vite tourner… Durant ce séjour en 2017, j’ai rencontré David Redon, le conseiller des musées et des arts plastiques, grâce à qui j’ai découvert les archives super 8 du photographe officiel de la préfecture de Cayenne Pierre Servin décédé en 2003, j’ai trouvé ces images si belles, avec les danses traditionnelles guyanaises si captivantes. Pierre Servin était ami avec Auxence Contout et ils avaient l’habitude de s’appeler cher Maître, tous deux étaient des érudits, c’est de là que le titre du film est né. Le soir suivant, il y avait un hommage à la créatrice du groupe de danse Wapa, dont Auxence Contout était membre fondateur et d’honneur et j’ai découvert le chant et la danse labasyou que j’ai trouvés magnifiques… le film avait pris corps… Ces images en super 8 allaient donner une résonnance nostalgique au film et je voulais filmer le Labasyou avec cette chanteuse merveilleuse, et donner une place essentielle aux danses traditionnelles.
La danse allait être le leitmotiv du film, avec les images d’archives et celles de 2018. J’ai contacté Patricia Blérald la Présidente de la fédération des musiques et des danses traditionnelles de Guyane, et je lui ai fait écouter l’enregistrement du Labasyou par téléphone, elle m’a dit que c’était la chanteuse d’un autre groupe et j’ai demandé si elle pouvait se joindre au groupe dont Auxence Contout était membre d’honneur (le groupe Wapa), car sa voix m’avait fasciné. Cette chanteuse s’appelle Vanessa Lindor et je lui suis très reconnaissant, comme aux membres du groupe Wapa, de m’avoir donné un après-midi pour les filmer. J’ai ainsi filmé chaque danse en 5 prises avec 2 caméras. La chanteuse officielle du groupe Katy Panelle a chanté la moitié du chant ce qui offre une autre possibilité avec une voix plus grave. Elle est adorable, elle aussi.
Avec ma productrice nous avons pris les films de Pierre Servin pour les numériser en très haute définition, j’ai fait 4 sauvegardes que j’espère pouvoir remettre un jour entre les mains de sa fille.
C’est un an plus tard, en 2018, que je suis retourné en Guyane, avec une aide à l’écriture de 4000 euros de la région Guyane pour filmer Auxence Contout à la veille de ses 94 ans. On venait de lui rendre hommage par l’inauguration d’une statue (cet événement est dans le film). Pendant les quelques mois précédents, son fils Alain Contout et Patricia Blérald nous avaient été d’un grand soutien pour le convaincre d’être filmé à nouveau. Il m’a reçu chez lui, je lui ai expliqué le projet et cela lui a plu. Il m’a même montré avec jubilation une montagne de manuscrits jaunis par les années qui représentaient 70 ans de recherches. Il m’a dit « Photographie dans ta tête, mais pas avec ta caméra », j’espère que les archives guyanaises les ont récupérés.
J’ai donc filmé Auxence Contout 2 fois, en 2006 et en 2018. La première fois dans son jardin, on entend les cigales qui parfois envahissent l’espace sonore, d’ailleurs il fallait parfois arrêter de filmer tellement le bruit était fort. À ce moment, je ne savais pas que je faisais un film sur lui. En 2018 c’était un homme très âgé, le contraste est d’ailleurs intéressant, au visionnage on s’est aperçu que des spectateurs ne le reconnaissaient pas et demandaient : Qui c’est ? Pour la première fois de ma vie j’ai donc dû utiliser une voix-off dans un de mes documentaires alors que je m’y étais toujours refusé. J’ai essayé de prendre un ton assez rétro, car je n’aime pas les voix-off dans les documentaires d’aujourd’hui en général. Je ne suis pas un réalisateur branché. Comme sa voix avait vieilli et portait moins, il fallait un lieu clos et j’ai eu l’idée de le filmer à la bibliothèque Franconnie de Cayenne, où une salle portait déjà son nom et où il avait beaucoup travaillé à une époque. Le chef opérateur Frédéric Roger a eu l’idée de créer une lumière artificielle pour réchauffer sa peau, ce qui donne ce ton orangé. J’avais toujours tourné en lumière naturelle dans mes documentaires. Nous avons utilisé un micro adapté à sa voix. L’équipe de la Bibliothèque a été formidable. Le peu d’argent et l’âge avancé d’Auxence Contout n’ont pas permis de le filmer dans les rues de Cayenne. Ça a été un chalenge de rendre ce film rempli de paroles assez fluide.
Auxence Contout n’a malheureusement pas pu voir le film, car il est décédé le 2 janvier 2020 à un mois de ses 95 ans et nous n’avions pas le budget pour terminer le film. Quelques mois plus tard, la productrice Laurène Belrose est décédée à 46 ans. 5 jours avant, j’avais discuté avec un producteur qu’elle avait contacté, Franck Courvoisier, pour faire une coproduction pour terminer le film. Il m’a dit c’est OK. Puis quand je lui ai annoncé le décès de Laurène, il m’a dit « d’autant plus en sa mémoire je m’engage à terminer le film » … Le décès de Laurène Belrose a été pour moi un événement très douloureux, car c’était plus qu’une productrice, une femme d’une grande intelligence, passionnée et une amie. Le film lui est dédié. Il a enfin été diffusé à la télévision guyanaise le 22 septembre et le 1er octobre 2021 après un itinéraire de 15 ans et demi. J’ai utilisé beaucoup d’images de paysages et de carnaval, issues du tournage de 2006. J’ai la petite joie d’avoir créé, à partir d’un tournage, deux documentaires Rencontres en Guyane et Maître Contout.
J’aimerais qu’un ouvrage condensant le meilleur du travail d’Auxence Contout soit publié et si possible accompagné du DVD du film avec des bonus, car il y a plein de choses passionnantes qu’il a dites et que je n’ai pu mettre dans le film. Ce projet était envisagé, mais la mort de Laurène Belrose y a mis un terme.
J’ai été invité à présenter le film au festival FIFAC en octobre 2021 (Festival international du film Amazonie Caraïbes) mais ma venue a été annulée au dernier moment suite à la situation sanitaire. J’espère pouvoir présenter le film aux collégiens et aux lycéens guyanais, car c’était le souhait d’Auxence Contout que ce documentaire devienne un outil de pédagogie et de transmission, mais aussi qu’il soit vu par d’autres créoles comme les Guadeloupéens et les Martiniquais…
Le film sortira au cinéma Le Saint-André des Arts le 11 mai 2022. Comme Auxence Contout le dit dans le film « J’aurais gardé l’esprit étroit si j’étais resté confiné dans ma ville de Cayenne », et ce passage au cinéma, permettra à Maître Contout de sortir de Guyane et être vu ailleurs… …C’est amusant de l’entendre prononcer le mot confiné en 2006 lui qui est décédé juste avant le Covid…
