Pour les 50 ans du célèbre cinéma parisien LE SAINT-ANDRÉ DES ARTS, Le cinéaste François Zabaleta, qui a sorti trois de ses films dans ce haut lieu légendaire de la cinéphilie, rend hommage au courage, à la détermination et à l’ambition jamais démentie de la programmation de Roger et Dobrila Diamantis.
Je m’appelle François
Mon nom ne vous dira rien
Je ne suis pas connu
Je suis cinéaste
Enfin j’essaie de l’être
J’ai dû réaliser maintenant plus d’une quarantaine de films
Enfin vous me direz ce n’est pas au kilo
bref
Je suis donc cinéaste mais je ne le dis pas
jamais
Je ne réponds pas cinéaste quand on me demande ce que je fais dans la vie
Et pour une bonne raison
Cinéaste pour les gens c’est quelqu’un qui connaît Catherine Deneuve et qui tourne avec Isabelle Huppert
Manque de chance
Je ne connais pas Catherine Deneuve
et je n’ai jamais tourné avec Isabelle Huppert
et je n’ai jamais appelé aucune comédienne ma chérie
Je fais des films d’auteur
C’est comme ça qu’on dit
Auteur
Art et essai
arty
Expérimentaux
underground
Personne ne sait trop comment les appeler
Ces films les producteurs n’en veulent pas
pour eux je n’existe pas
Je suis une sorte de poète
C’est à dire quelqu’un de non signifiant
Qui ne rapporte rien
Qui n’a aucune visibilité
Bref quelqu’un qui n’existe pas
Je ne suis membre de rien
Je ne suis pas invité dans les dîners
Les cocktails
Les inaugurations
Les premières
Les journalistes ne parlent pas de mes films
Même pas pour les éreinter
Et pour une bonne raison
Ils ne les regardent pas
Je n’ai pas d’attaché de presse
Je n’ai pas de réseau
Je n’ai personne
Presque personne
je ne peux compter que sur moi
Ce qui n’est pas grand-chose
Je n’ai pas de carte professionnelle du cinéma
Je n’ai jamais eu l’avance sur recette
Je ne suis membre de rien
Je ne rapporte pas d’argent
Je n’en ai jamais gagné
Je ne n’exagère pas
Mais vous me direz
Et vous avez raison
Que je suis loin d’être unique
Des comme moi
On est des dizaines
Des centaines
Voilà c’est dit
Mais ne croyez pas que je hurle
Ne croyez pas que je me plaigne
C’est le contraire
Il y a je trouve
De la noblesse
De la beauté
A arpenter sa vie durant
Les uns après les autres
Tous les chemins qui ne mènent nulle part
La beauté des chemins qui ne mènent nulle part
C’est en lettres de vent que j’aimerais voir écrite cette épitaphe
Sur la porte de ma dernière chambre terrestre
Je n’appartiens pas au système
Je n’ai pas la carte
L’establishment connais pas
Je n’existe pas
C’est ce que je dis
Mais j’existe quand même un peu
Je ne suis pas dans le système
Mais quand même parfois je le suis un peu
Grâce à ces miracles de lundi de Pâques qu’on appelle des festivals de cinémas
Je ne vais pas les citer
Vous les connaissez
Et puis comme autres miracles aussi il y a les spectateurs
Pas beaucoup bien sûr
Evidemment
francs-tireurs devant l’éternel
jamais on ne passera par la case Chti ou grande vadrouille
n’empêche ces spectateurs
tous précieux comme des apparitions de Fatima
ils ne viennent pas par l’opération du Saint Esprit
Ou plutôt si
Pas le Saint Esprit en personne
Il y a longtemps que son répondeur ne prend plus de message
Non
Pas le Saint Esprit
Mais le saint André
Le Saint André
C’est le saint des saints
Il nous découvre
Il nous défend
Il nous protège les jours de cafard poisseux
Des fées sparadraps on en a tous
Notre fée sparadrap à nous c’est le Saint André
Ce Saint là croyez-moi il fait des miracles
Ça ne veut peut-être rien dire pour vous
Mais pour nous c’est beaucoup
C’est inespéré
parce que ce Saint là voyez-vous il nous permet d’avoir les mêmes spectateurs que Jean Eustache ou Alain Cavalier
Et j’en passe et des meilleurs
Alors que dire
Du coup les mots m’en tombent
Tous les mots
Sauf un
Un mot qui revient de loin
Un mot de rien du tout
Qui ne paie pas de mine
Mais qui vous vidange le cœur de son trop plein de gratitude hébétée
Merci
Merci Saint André
Merci Saint Roger
Merci Sainte Dobrila
Voilà c’est dit
Maintenant je peux passer mon chemin
Et retourner enfin de là où je viens
C’est-à-dire de l’oubli.
François Zabaleta, mars 2021
Le film est en accès libre : https://vimeo.com/531164508
