Retour à Reims (fragments). Jean-Gabriel Périot. 2021, 83 minutes.
En 2015, le premier long-métrage de Jean-Gabriel Périot, Une Jeunesse allemande, rendait compte de l’aventure de la Bande à Baader grâce à un montage extrêmement précis et efficace d’images d’archives, essentiellement médiatiques.
En 2019, avec Nos défaites, il expérimentait un dispositif complexe mettant des lycéens en situations d’être une équipe technique de cinéma et en même temps des acteurs de scènes mythiques de films de Tanner, du groupe Medvedkine ou Godard.
Retours à Reims, quant à lui, repose sur un dispositif original et utilise avec toujours autant de bonheur des archives d’origines diverses, photographies, films, fichiers Internet.
Côté dispositif, il s’agit de plonger dans la vie des ouvriers de l’est de la France depuis les années 50 jusqu’à aujourd’hui, à partir d’un texte de Didier Eribon interprété en voix off par Adèle Haenel. Ce texte en première personne raconte l’histoire d’une famille sur au moins trois générations. Il se superpose aux images d’archives réunies sur le sujet, comme s’il en était le commentaire. Sa dimension fortement personnalisée interdit en tout cas de définir le film comme une histoire du mouvement ouvrier, même si le cinéaste ne renonce pas à un point de vue historique puisqu’il utilise une progression chronologique. Mais les archives utilisées concernent rarement des évènements en dehors d’images de guerre et de l’élection de Mitterrand en 81, par exemple. Pour leur majorité il s’agit d’images plus personnelles, mettant en scènes des anonymes, personnes filmées en toute simplicité et qui n’ont rien d’acteurs de cinéma, même lorsqu’il s’agit d’extraits de films – comme le célèbre Chronique d’un été de Jean Rouch et Edgar Morin.
Incontestablement, le recours au texte d’Eribon permet de prendre de la distance par rapport aux faits, ce qui est tout à fait explicite dans la séquence finale, où une avalange d’images présente le mouvement récent des Gilets Jaunes. Façon de construire une imagerie du soulèvement et de renvoyer à ce concept si bien développé par Georges Didi-Huberman.
Si le film insiste beaucoup sur le déterminisme social dont sont victimes les ouvriers, il prend aussi en compte de façon plus originale certains des travers de la classe ouvrière comme l’alcoolisme, le phallocratisme et surtout le racisme, anti arabes et anti immigrés en général, ce qui explique d’ailleurs en partie la mutation du vote communiste en vote front national. Il s’agit bien de ne pas idéaliser la classe ouvrière, même si les passages renvoyant à la souffrance au travail, à l’aliénation du travail à la chaîne et à l’exploitation capitaliste sont plus souvent chargés d’émotion que de colère. En se penchant sur la vie quotidienne des ouvriers, où les difficultés pour se nourrir et pour se loger sont prioritaires nous sommes bien loin du Grand Soir.
Dans le cinéma documentaire, un certain nombre de films récents, sur le travail en abattoir par exemple (de Entrée du personnel de Manuela Frésil à Dans ma tête un rond-point de Hassen Ferhani pour ne citer qu’eux) contribuent peu à peu à combler le déficit de représentation du monde ouvrier dans le cinéma en général. Retours à Reims ajoute une pierre non négligeable à ce combat.