E COMME ENTRETIEN Sandrine Stoïanov.

A propos de Le Monde en soi, Sandrine Stoïanov et Jean-Charles Finck, 2021, 18 minutes.

 Vous êtes à l’origine dessinatrice, vous êtes ensuite devenue peintre, puis cinéaste. Est-ce un même mouvement ?

Cela s’est fait sur le long terme en fait. J’ai fait les beaux-arts à la base, et je me dirigeais plutôt vers l’illustration, l’image fixe. Quand je suis arrivée sur Paris, j’ai fait un stage sur le dessin animé. Dans une entreprise j’ai fait un stage d’un mois et là les gens m’ont dit que si je voulais apprendre le dessin animé, il y avait aux Gobelins un stage professionnel de 9 mois. J’ai essayé le concours. Je l’ai eu et j’ai passé 9 mois aux Gobelins où j’ai vraiment appris les bases du dessin animé. En sortant j’ai rencontré mon coréalisateur, Jean-Charles Finck. Lui, il travaillait déjà dans le dessin animé. Il avait fait un court métrage qui s’appelait le Nez. Quand je l’ai rencontré, il a vu ce que j’avais fait aux beaux-arts, qui était un travail sur mes origines russes. Il m’a dit il faut que tu fasses un film avec ça, et comme on est devenu un couple dans la vie, on l’a fait ensemble.

Vous avez fait ensemble deux films, deux courts métrages.

Le premier Irinka et Sandrinka faisait 16 minutes, Le Monde en soi, lui, fait 18 minutes.

Comment ça se passe de travailler à deux dans le cinéma ?

On se complète plutôt bien. J’ai hésité quand j’étais jeune à faire du théâtre. J’ai fait du théâtre au collège, au lycée et même aux beaux-arts je faisais du théâtre. Et quand j’ai choisi mes études, j’ai hésité entre un bac théâtre et un bac art. J’ai choisi le dessin parce que je n’aimais pas le fait d’être une marionnette dans les mains d’un metteur en scène. Et je me suis rendu compte qu’on était très vulnérable. J’étais toujours dans l’attente du regard des autres en me demandant, c’est bien ce que j’ai fait ? Quand je dessinais je pouvais regarder mes dessins et me dire, bon ça va. Au moins avoir un jugement sur ce que je faisais. Je suis donc partie dans le dessin, et l’animation m’a permis de redevenir actrice sans monter sur scène. Jean-Charles lui est plus réalisateur. Lui c’est vraiment le montage, les timings, l’efficacité de la narration. Moi je suis plus dans l’image, dans chaque plan, dans vraiment composer l’image, dans le fait de raconter quelque chose dans le plan lui-même, d’où ma formation dans l’image fixe. Et même si je peux me débrouiller dans la mise en scène, moi je suis plutôt dans l’image. On s’est plutôt bien complété pour ça. Mais c’est vraiment un dialogue constant. C’est-à-dire que dès l’écriture jusqu’à la fin, on parle de tout. On est d’accord ou pas d’accord, et on peut se disputer sans que ce soit grave et dire vraiment ce qu’on pense. L’image, c’est ce qui a fait le consensus de nos deux personnes, être d’accord sur ce qu’on a mis à l’écran. C’est une sorte de long dialogue. On est deux personnes avec deux égos forts. On a tous les deux envie de dire quelque chose. Du coup c’est bien, parce qu’on est jamais arrêté. On reste vivant par rapport à ce qu’on fait. On est toujours dans le chalenge du regard de l’autre.

C’est un plus par rapport au travail solitaire…

Oui. Mais j’aime bien aussi le travail solitaire. C’est reposant. Quand je sui sur le banc-titre, que j’anime, je suis vraiment seule face à mon travail, même si Jean-Charles après me dit on va couper deux secondes. Il me donne toujours son avis sur l’animation que j’ai fait, on parle, on corrige, si je suis pas d’accord j’argumente pourquoi je suis pas d’accord, etc.

Vos deux films ont une dimension autobiographique, vous puisez dans votre passé, vos racines. En même ce sont des fictions, surtout le second. En même temps il y a une dimension très documentaire. Alors, comment organisez-vous ces différentes orientations ?

En fait, je ne sais parler que de moi. Chaque fois qu’on a fait un film ensemble, avec Jean-Charles, c’est parti de moi, j’avais une sorte de nécessité de raconter quelque chose et lui il se retrouve dans les choses que j’ai envie de dire sur moi, mais aussi de lui. C’est toujours ce dialogue. Je pars du principe que je ne peux raconter que ce que j’ai perçu. Mon rapport au travail artistique, si je dois ne parler que de moi, mon questionnement est comment je perçois le monde. Le deuxième film le raconte plus parce que c’est l’idée que selon l’état émotionnel dans lequel on est on n’interprète pas les choses de la même manière et que dans une situation où deux individus vivent exactement la même chose mais ne le raconteront pas de la même manière, ils ne l’auront pas vécu dans la même humeur, avec le même connu intérieur. Tous leurs traumatismes de vie vont faire qu’ils vont interpréter d’une manière ou d’une autre. C’est vraiment ça qui m’intéresse. Peut-être que le côté documentaire vient de cette nécessité d’être juste dans la perception, le ressenti. C’est cela que je cherche à faire. J’ai l’impression de percevoir plein de choses, et j’essaie de voir si je suis toute seule face à ces perceptions ou si je vais rencontrer des gens. Et c’est toujours sortir d’une forme de solitude. C’est vrai que le premier film était vraiment basé sur une quête d’origine. En fait c’était mon travail de beaux-arts. Que je n’ai pas eu d’ailleurs. C’était un échec. Je m’étais donné un an. En fait on a deux ans pour monter un projet pour le diplôme. Comme on me posait plein de questions sur mes origines russes, j’ai pris ces deux ans pour essayer de comprendre d’où me vient ce nom et qui était mon grand-père, que j’ai très peu connu. Et en rencontrant Irène qui est le personnage du film, qui m’a raconté sa vie en Russie, j’ai été subjuguée. Et quand j’ai fait écouter l’enregistrement à Jean-Charles, il m’a dit il faut vraiment qu’on fasse un film avec ça. On est vraiment parti de ce qu’Irène avait dit. C’est ainsi que c’est devenu ce que plus tard on a appelé un documentaire-fiction. Ce qui m’intéresse ce n’est pas de raconter une réalité naturaliste, je trouve que la prise de vue réelle raconte ça très bien, être dans le monde social, dans les rapports humains. Moi ce qui m’intéresse vraiment c’est d’essayer d’amener sur ce qui vient de l’extérieur une perception intérieure. Comme ça a été le cas pour Irinka et Sandrinka où j’essaie de montrer ce que l’enfant, la petite fille, pouvait se raconter de la Russie, par rapport à ce qu’elle en connaissait, les clichés qu’elle avait pu recevoir en France comme les matriochkas, les contes russes ; et de l’autre côté essayer de montrer les perceptions de la petite fille russe dans une époque politique et artistique précise et se servir de ces images là pour raconter son voyage. Il y a toujours un questionnement de l’image puisque je viens des beaux-arts. Ce qui m’intéresse c’est l’image. Parler aussi de ce que l’image peut raconter. Ce que c’est que cadrer. On cadre tous un regard sur la vie, j’aime bien ça aussi. Avoir ce double questionnement, ce que l’animation permet énormément. La prise de vue réelle aussi mais comme je viens de l’image dessinée…

Et de la couleur. Il y a tout un jeu sur les couleurs, sur le noir et blanc. L’évolution des couleurs des personnages du Monde en soi. Alors, comment avez-vous travaillé sur les couleurs ?

La couleur pour moi, elle devait être narrative. L’image peinte devait être autant narrative que le cadrage, et que la narration fictionnelle. La couleur sert à montrer l’émotion intérieur du personnage et son rapport au monde. Quand elle est dans la ville, il y a un rapport de plein et de trop plain. Jusqu’à un certain moment où les couleurs deviennent très expressionnistes. De l’autre côté, dans l’hôpital, c’est vraiment le vide. Elle a tout donné, elle s’est vidée sur le papier. Il y a l’idée de la page blanche, puisque ça parle aussi de la démarche artistique. C’est-à-dire comment on regarde le monde. Il faut se remplir du monde pour pouvoir remplir une feuille de papier. La contemplation du monde s’étant arrêtée, on est juste spectateur, est aussi nécessaire que les temps où on est actif et qu’on donne à peindre. Il y a aussi tout ce rapport au temps. Cette nécessité du temps qui est en train de disparaître dans nos sociétés où il faut toujours être actif, toujours être en train de faire quelque chose. Le film est aussi pour moi une ode à la contemplation. S’arrêter et juste un regard, être juste là dans le présent est aussi important qu’être actif. On ne peut rien donner de bon si on ne s’imprègne pas du monde dans lequel on vit. Si on ne prend pas un peu de temps pour l’empathie vis-à-vis d’autrui, si on ne prend pas un peu de temps pour essayer de comprendre les choses qui nous entourent et la complexité des gens qui sont à côté de nous. Si on va trop vite, on nie la complexité des choses et du coup ça empêche d’être juste avec les autres. On juge trop vite. On ne prend pas le temps de comprendre vraiment un monde compliqué. Un individu c’est un être compliqué. On ne peut pas le résumer à une couleur de peau, à un pays, à des choses aussi simples que ça.

Pour terminer pouvez-vous nous parler de vos projets.

Le film m’a donné droit de me mettre à la peinture à l’huile. On parlait d’une peintre et je n’étais pas peintre. Du coup j’ai pris des cours de peinture à l’huile pour essayer de faire les œuvres du personnage. Je me suis prise au jeu, et en ce moment je fais de la peinture à l’huile. J’ai un peu arrêté l’anim, mais on a un projet avec Jean-Charles qui n’est pas encore écrit. On y réfléchi. On aimerait parler de Gustave Klint, le peintre de la sécession. Il se trouvait à une époque charnière du monde moderne. C’est-à-dire que la sécession viennoise, c’était là où se jouait un bras de fer entre un monde de l’artisanat et un monde de l’industrie. Les choses commençaient à se jouer là. Et même d’un point de vue relationnel, homme-femme, il se jouait des choses assez intéressantes. On peut raconter énormément de choses à partir de ce peintre. Ce qui m’intéresse moi personnellement – je ne peux pas parler pour Jean-Charles qui a d’autres points d’achoppement par rapport à ce personnage – c’est que c’était le matriarcat qui l’intéressait. Il considérait vraiment les femmes, malgré le fait qu’on disait que c’était un coureur de jupons. Si on regarde sa biographie, si on comprend les relations qu’il avait avec les femmes…toutes les femmes qu’il a connues sont restées ses amies toute sa vie, donc ça pouvait pas être un sale type. Ce sont des femmes qui se sont réalisées dans la vie. Il voyait les femmes comme des individus à part entière et leur donnait leur vrai pouvoir, un pouvoir sexuel mais aussi un pouvoir intellectuel. Il n’en faisait pas des potiches. Ça m’intéresse d’aller voir comment à cette époque-là la relation des genres se faisait et comment ce peintre a formulé l’idée que les femmes pouvaient être fortes, et individuelles, et avoir des choses à dire dans la société, même si la première guerre mondiale et la seconde ont un peu balayé tout ça.

Entretien réalisé au Festival International du Film d’Éducation.

Le site de Sandrine Stoïanov : https://stokanovska.wixsite.com/monsite

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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