S COMME SELFIE

Selfie. Agostino Ferrente, France-Italie,  2019, 77 minutes.

Tourner un film uniquement avec un téléphone portable, ce n’est plus aujourd’hui une chose si rare que cela. Le réaliser entièrement sous la forme du selfie, voila qui est beaucoup plus original. C’est tout à fait possible, comme le démontre avec brio le film de Agostino Ferrente, intitulé justement Selfie, ce qui supprime toute interrogation – ou tout doute – sur son mode de tournage

Pour concrétiser son projet, Ferrente va confier le rôle de réalisateur à deux amis, Pietro et Allessandrto, deux jeunes habitants du quartier populaire de Traiano à Naples qui, prenant leur tâche particulièrement au sérieux, vont filmer leur vie quotidienne avec une constance sans égal. De quoi déboucher sur un portrait haut en couleurs de ce quartier où les jeunes n’ont pas de travail, ni d’activités, à moins de devenir dealer.

Mais en même temps, comme il le dit dans l’incipit du film, Ferrente est attiré dans ce quartier pour enquêter sur un fait divers dramatique. Davide, 15 ans, a été tué par la police, dans une course poursuite qui aurait pu rester banale sans ce coup de feu qui a endeuillé tout le quartier. Pietro et Alessandro étaient des amis de Davide. Ils ne peuvent l’oublier.

Le croisement de ces deux orientations débouche sur un film à forte portée sociologique mais toujours chargé d’émotions. Des tranches de vie filmées de l’intérieur, sans effets narratifs, par les protagonistes eux-mêmes. Nous sommes à l’opposé absolu de la fiction.

Ce procédé du selfie donne bien sûr aux images une facture particulière. Tenant le téléphone à bout de bras, l’un ou l’autre des deux apprentis cinéastes sont presque toujours dans le cadre. Les gros plans – ou les plans poitrines – dominent. Mais, l’expérience aidant, la composition de l’image devient de plus en plus variée et subtile. Décalant leur présence sur le bord de l’image, ces nouveaux cadreurs réussissent souvent à introduire une profondeur de champ révélant des pans entiers du quartier et ses habitants qui constituent leur entourage immédiat. Ces images sont le plus souvent stables, mais il arrive qu’elles se mettent à trembler (la fatigue du bras sans doute). Elles basculent même entièrement lorsque, pour la même raison, l’appareil passe de l’un à l’autre. Ils pensent bien à le poser, mais visiblement ils préfèrent en garder l’usage direct. Les regards caméra sont évidemment très fréquents, ce qui renforce le côté non professionnel du filmage. Mais justement, que le cadre ne soit pas fait par des pros, c’est ici le gage d’une spontanéité inégalable. Et ce n’est pas l’introduction d’images issues de caméra de surveillance comme plans de coupe, qui la contredira.

La vie d’un quartier donc, comme on l’a rarement montrée. Une vie souvent agitée, avec le traumatisme collectif de la mort de Davide. Mais la banalité du quotidien est tout aussi présente, avec les shampoings et les coupes de cheveux, les réveils tardifs et les séances de farniente sur la plage. Une vie sous le signe de l’amitié aussi, une amitié que Pedro et Alessandro se jurent éternelle. Des jeunes dont on sent bien qu’avoir vécu cette expérience unique les aura profondément transformés, et pas seulement en leur faisant aimer le cinéma.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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