Georges […] Perec – Propos amicaux à propos d' »Espèces d’espaces ». Bernard Queysanne, 1999, 71 minutes.
Réaliser un film documentaire sur un écrivain disparu, surtout si cette disparition est relativement récente, implique un certain nombre de choix fondamentaux. Le film que consacre à son ami Georges Pérec permet d’en apprécier la pertinence.

La première possibilité consiste à utiliser des archives médiatiques, émissions de télévision en particulier, émissions littéraires surtout ou même extraits de journaux télévisés le jour de l’annonce des prix littéraires. Bernard Queysanne ne tombe aucunement dans la facilité qui consisterait à enfiler de telles archives les unes sur les autres. Dans son film, il n’en retient qu’une, une archive ancienne, en noir et blanc, la première apparition du jeune Pérec qui n’est pas encore un écrivain reconnu, ni non plus un écrivain tout court, devant une caméra. Des propos essentiels pour qui va se pencher sur le devenir écrivain d’un jeune homme dont on ne peut négliger alors l’histoire personnelle.

Deuxième choix possible, le recours à celles et ceux qui ont connu l’écrivain de son vivant, les ami.e.s surtout, ou souvent aussi les « spécialistes « (éditeurs, critiques, universitaires, qu’ils aient eu des liens directs avec l’écrivain ou pas). Ici Queysanne fait le choix clair d’écarter ces derniers pour se concentrer sur les seuls amis, surtout les plus intimes, dont il fait lui-même partie. Il leur propose de se livrer au petit jeu du « je me souviens », Et le début du film proposera comme des flashes, les souvenirs brefs (une phrase pas plus) de ceux qui constituaient une sorte de tribu autour de Pérec. Par la suite le film leur laisse plus longuement la parole et se construit ainsi par petites touches un portrait de l’écrivain, soulignant ses habitudes, ses manies, ses comportements, surtout en ce qui concerne les relations amicales, mais aussi à propos de la lecture et de l’écriture.

Enfin le mieux serait peut-être tout simplement de donner la parole à l’écrivain, non sous la forme d’un entretien, ce qui n’est possible que pour un écrivain vivant, mais en « adaptant » un de ses livres, c’est-à- dire mettre en images son texte repris en voix off, non comme un simple commentaire, mais comme ce qui devient l’essentiel du film. C’est ce que Bernard Queysanne fait à partir de Espèces d’espaces de Pérec. Il reprend les lieux que l’écrivain évoque dans son livre – ville, quartier, immeuble, rue, chaussée, trottoir, caniveaux, chambre, mur etc.- et leur donne une seconde vie, en images cette fois, mais sans supprimer la première, celle du texte.

Le résultat est un film que Pérec n’aurait certainement pas renié, un film dont on peut considérer qu’il en est le co-auteur, un film donc tout à fait important dans la compréhension de l’ensemble de son œuvre.
