VISAGES DEFIGURES

La disgrâce. Didier Cros, 2019, 67 minutes.

Un jet d’acide, une balle perdue au Bataclan, une maladie génétique, un cancer…les causes sont multiples, mais le résultat identique. Un visage méconnaissable, cabossé, couturé, biscornu. Un visage qui affiche sa différence, insupportable. Qu’il faut apprendre à supporter.

Le film de Didier Cros nous permet de rencontrer quelques-uns de ces abimés de la vie et dont la présence devant la caméra fait incontestablement partie de leur travail d’acceptation et de reconstruction. Un travail sur leur propre image – sur l image de la différence- d’autant plus que le dispositif mis en place par le cinéaste les place devant un grand miroir, dans une salle de maquillage d’un grand studio de photographie. Des professionnels de l’image vont réaliser leur portrait, dans le style bien connu du célèbre studio (le studio Harcourt, connu pour ses portraits de stars), un visage soigneusement éclairé, en noir et blanc, dans une pose très stylisée. Filmé.e.s avec une grande délicatesse, ces hommes et ces femmes vont se confier par petites touches, mais avec une grande franchise, devant ce miroir qui les surcadre et avant de se mettre entre les mains des photographes qui font tout pour les mettre à l’aise.

Ce qui compte pour eux, ce ne sont pas tant les conditions de leur accident ou de leur maladie, que le rapport qu’ils vont entretenir avec leur nouvelle image. Un rapport qui constitue leur identité personnelle. A quoi s’ajoute le regard des autres, de tous les autres, surtout ces anonymes croisés dans la rue ou dans un supermarché, qui ne peuvent le plus souvent s’empêcher de les dévisager, de marquer leur étonnement, de réagir quasi instinctivement à la différence, une non-acceptation de la laideur, comme si cette différence était une insulte à la nature.

Leurs récits fourmillent de notations qui, pour être anecdotiques, n’en sont pas moins fondamentales et disent tout de l’importance de l’apparence physique dans les rapports sociaux dominants de notre société. C’est par exemple cette caissière qui n’hésite pas à interrompre l’enregistrement de ses achats pour poser une multitude de questions à cette femme si bizarre qui est devant elle. Ou bien cette autre qui évoque comment elle découvre son visage, par hasard et sans y être préparé, dans le seul miroir qui n’avait pas été enlevé des salles de l’hôpital réunissant les grands brulés. Ou encore, celui-ci qui raconte « le premier baiser », l’inquiétude qui le précède et la joie de sa réussite. Des récits si intenses qu’on en vient à se dire que notre émotion de spectateur, si forte soit-elle, est bien peu de chose en fait à côté des flots de sentiments qui visiblement les submerge.

Dans la dernière séquence du film, ils et elles découvrent le résultat du travail des photographes du studio Des portraits splendides dans lesquelles ils finissent par reconnaître, après quelques hésitations, leur identité profonde. Le cinéma a rarement montré avec autant de justesse la toute-puissance des images dans notre culture.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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