MEDECINE URBAINE.

Journal d’un médecin de ville. Nicolas Mesdom, 2021, 57 minutes.

Jean Paul part à la retraite dans quelques mois après 25 ans d’exercice dans le même cabinet de la région parisienne. En le suivant dans son travail quotidien, ses consultations et ses visites, ses relations avec ses collègues et son jeune successeur aussi, le film de Nicolas Mesdom nous propose un regard, en apparence tout simple mais qui se révèle vite particulièrement pertinent, sur la médecine généraliste en France.

Le choix de filmer en ville et non dans une zone rurale est certainement un bon choix. D’abord il nous permet d’appréhender la diversité de la patientèle du médecin, des felles et des hommes, souvent issu.e.s de l’immigration, qui portent sur eux toute la misère du monde. Ici aussi il y a des problèmes d’accès aux soins. Et pas seulement pour des questions financières pourtant bien réelles, et Jean Paul n’hésite pas à pratiquer la gratuité. Il n’est pas besoin de longs développements pour comprendre que la situation de l’hôpital, et particulièrement des urgences, retentit négativement sur la médecine de proximité assurée par ceux que l’on appelait le médecin de famille et qui est devenu, administrativement, le médecin traitant.

Médecin de famille, Jean-Paul l’a toujours été et il le sera jusqu’au jour de son départ à la retraite. Nous assistons à plusieurs consultations des mêmes patients, une mère et sa fille en particulier que le médecin reçoit séparément d’abord, puis ensemble. Visiblement elles ont des problèmes relationnels, ce qui crée une situation psychologique difficile pour l’une et l’autre. Les difficultés psychiques ne sont d’ailleurs pas rares dans le cabinet du médecin (elles semblent être une des causes principales de consultation, avec les accidents de travail). Et le généraliste doit bien souvent se transformer en quasi-psychologue ou même psychiatre. S’il prescrit des médicaments, c’est surtout son écoute et le réconfort qu’il prodigue qui peuvent être efficaces. De toute façon, il connait parfaitement – depuis si longtemps – ses patients qu’il sait spontanément trouver les mots qui peuvent les « guérir ».

C’est peu dire que ce médecin entretient avec ses patients une relation souvent intime, amicale et chaleureuse. Il les tutoie et leur fait même la bises dans les visites à domicile où il donne souvent l’impression de faire partie de la famille. Comme son départ prochain à la retraite est annoncé, beaucoup ont du mal à imaginer qu’ils ne le verront plus. Certains lui font un cadeau. Une femme lui écrit même une petite carte car, dit-elle, elle ne pourrait pas lui parler sans pleurer. Elle a d’ailleurs beaucoup de mal à retenir ses larmes et on sent que Jean-Paul est lui aussi fortement ému. Il assure d’ailleurs à ses patients qui restera à leur disposition en cas de besoin.

Nous assistons à plusieurs réunions avec le jeune médecin qui va prendre la succession. Une occasion pour le cinéaste de montrer l’évolution de la médecine à partir de cette confrontation (qui reste amicale) entre l’ancien et le nouveau, deux styles différents, deux façons opposées de concevoir son métier. Le remplaçant ne veut consulter que deux jours par semaine et ne consacrer qu’une matinée aux visites, et encore, si elles ne sont pas trop éloignées. Cela pose quelques problèmes d’organisation à l’ensemble du cabinet. Jean-Paul reçoit, lui, sans rendez-vous, une pratique qui devient de plus en plus rare. Envoyant la foule qui se bouscule dans la salle d’attente, on comprend pourquoi la majorité y renonce.

Le film a bien sûr un côté hommage à cette médecine libérale au service du patient. Mais il le fait sans exagération et sans se permettre des prises de position ouvertement politiques. Il ne cherche pas à formuler des solutions aux enjeux actuels, par ailleurs bien connus depuis la pandémie de covid, de notre système de santé. C’est là ce qui fait tout son intérêt. Les difficultés actuelles de la médecine ne sont pas esquivées. Elles sont bien là, comme les difficultés sociales, sous-jacentes à l’exercice quotidien de cette médecine généraliste qui repose fondamentalement sur un humanisme à toute épreuve. Il faut espérer que le départ à la retraite de la génération de Jean-Paul ne signifiera pas la disparition de cette médecine humaine au profit de simples techniciens de santé.

Festival Vrai de vrai, Scam, 2022.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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