Cornouailles. Pierre Perrault, Canada, 1994, 52 minutes.
Un film animalier, certes, mais qui échappe en grande partie aux conventions du genre. Un film qui montre des animaux, certes, mais qui n’explique rien de leur mode de vie, de leur environnement naturel, ce monde du froid que nous avons sous les yeux tout au long du film. Un film animalier mais surtout un film-poésie. Pas seulement un film qui est accompagné d’un texte poétique. Pas seulement la poésie du commentaire – qui d’ailleurs ne commente pas au sens habituel du commentaire documentaire. Un film qui est la poésie même, la poésie tout entière, la poésie dans chacune de ses images, dans chacun de ses plans. Le froid, la neige, la glace élevés au rang de poèmes. Et les oiseaux, les renards, les lièvres, les chenilles même, qui sont poèmes dans chacun de leurs mouvements, dans chacun de leurs cris. Et le Bœuf musqué. Si majestueux, si énigmatique. Un animal lointain, presque inconnu jusqu’aux images que nous en offre ici Pierre Perrault.

Pierre Perrault ne peut pas ne pas être associé au cinéma direct, cette façon de faire du cinéma qui à partir des années 60 révolutionna le cinéma documentaire, en créant une nouvelle esthétique, basée certes sur des nouveautés techniques, mais surtout répondant à un véritable amour de la nature et des gens. Ici il n’y a pas de gens. Mais il y a le bœuf musqué. Filmé au plus près, sans qu’il ne soit en rien dérangé par les gens, ces gens filmeurs qui savent si bien se faire oublier. Une caméra invisible, mais qui voit tout, le plus petit brin d’herbe, le plus petit insecte et l’oisillon qui vient de naître. Et les bœufs si imposants, les pattes qui martèlent le sol dans leurs courses, la laine d’hiver dont le vent les dépouille, les accouplements si brefs. Et le combat final entre les deux mâles prétendant à la suprématie sur la totalité du troupeau. Un combat filmé comme une scène d’opéra, avec ses ralentis (utilisés avec parcimonie), ses temps de calme avant la course où ils se précipitent l’un contre l’autre dans ce choc qui nous étourdit nous aussi. Une séquence qui ne peut pas ne pas être élevée au rang de classique inoubliable de tout le cinéma.

Réalisé en 1994, ce film n’a absolument pas vieilli. Il peut même avoir conquis une nouvelle actualité, en nous montrant la fonte du glacier. Une fonte due ici à la chaleur de l’été, seulement de l’été. Dès la fin du mois d’août la neige et la glace retrouveront leur droit. Un cycle immuable qui devrait rester éternel…
