Toute la beauté et le sang versé. Laura Poitras, 2022, 117 minutes.
Un portrait de la photographe bien connue, Nan Goldin, artiste reconnue et activiste d’une cause à laquelle elle consacre toute son énergie, la dénonciation des dangers de l’OxyContin, un opioïde qui provoque une addiction systématique et qui est directement responsable de plus de 500 000 morts aux États Unis. Une cause qui la concerne elle directement, comme son œuvre photographique dans laquelle elle est entièrement présente. Elle est donc activiste parce qu’artiste. Mais on peut dire aussi qu’elle est artiste et donc activiste. Son engagement – mais le mot est-il bien celui qui convient dans le cas présent –, sa prise de position radicale faisant partie de sa vie comme ses photographies, et son art personnel trouvant tout son sens dans les actions politiques qu’elle mène. Des actions politique qui sont tout autant artistiques.

Ce portrait, réalisé par la cinéaste oscarisée (pour Citizenfour en 2015) Laura Poitras, est d’ailleurs tout autant un autoportrait, puisque c’est Nan Goldin elle-même, en voix off, qui fait le récit de sa vie et révèle à travers ses échecs et ses succès, le sens profond de son existence artistique. Façon de pénétrer dans son intimité créatrice tout autant que dans les secrets de sa vie familiale et de ses relations amoureuses et sociales.

Le récit de la vie de Nan commence évidemment par son enfance, une enfance marquée par sa relation, son amour, pour sa sœur ainée, Barbara, qui se suicidera à 20 ans. Une blessure qui restera vive tout au long de sa vie, une présence de la mort qui s’infiltrera dans une grande partie de son œuvre photographique, et tout particulièrement – et ce n’est pas une surprise – dans la période des années 80-90 marquées par le sida, auquel la communauté artistique qu’elle fréquente payera un lourd tribut. Une communauté au sein de laquelle le film nous introduit comme il nous plonge dans Bowerie, les bas-fonds de New York, et autres bars ou maisons closes dans lesquelles Nan travaille. Une vie qui débouchera sur l’addiction à la cocaïne, précédée par celle à l’OxyContin, qui était censé la soigner lors d’une opération.

Cette dimension biographique du film ouvre directement la voie à la présentation des images de Nan, les archives familiales d’abord en ce qui concerne son enfance, ses principales œuvres photographiques ensuite, comme The Ballad of Sexual Dependency dont nous pouvons savourer de larges extraits du diaporama.
D’un autre côté, Nan a un compte à régler avec la famille Sackler, qui a fait fortune grâce à l’OxyContin et qui est devenu, façon de se donner bonne conscience, un mécène important des grands musées new-yorkais, du MET au Guggenheim, et jusqu’à Londres. C’est donc dans les musées que Nan et le groupe d’activistes qu’elle a fondé (dénommé PAIN) va intervenir, de façon tout autant artistique que politique.

Nous assistons aux préparations et à l’exécution d’actions spectaculaires dans les musées. Il s’agit d’exiger d’eux qu’ils retirent le nom de Sackler de leur communication et même de refuser les nouveaux dons de la famille. Des exigences qui vont peu à peu finir par être acceptées. Des victoires réjouissantes pour toutes les victimes de l’OxyContin.

Le film de Laura Poitras a obtenu le Lion d’Or au festival de Venise 2022. Un encouragement évident aux films qui n’hésitent pas à prendre position aux côté de ceux qui mènent des luttes dénonçant les puissances de l’argent et leur hypocrisie.