1- Comment êtes-vous devenue cinéaste ?
Dès l’âge de 10 ans, je voulais travailler dans le cinéma. Je suis entrée dans une section cinéma-audiovisuel au lycée, puis je souhaitais faire un BTS image par la suite, mais je n’ai pas pu être prise, n’étant pas issue dans une section scientifique. J’ai alors fait des études d’histoire des Arts et ai bifurqué à nouveau vers le cinéma en maîtrise, avec un UV qui était mené conjointement entre la fac et l’APCVL à l’époque (actuel CICLIC).
Je suis ensuite entrée chez les loueurs de matériel chez lesquels j’ai appris le maniement des caméras, de toutes les optiques, etc… avec les assistants opérateurs (on était encore en pellicule à ce moment-là) lors des essais avant tournage. Et c’est ainsi que j’ai commencé à être assistante opérateur caméra sur des courts, des longs métrages. Puis, j’ai fait une longue pause lorsque j’ai eu mon fils, et ai repris en bifurquant à nouveau, vers la réalisation de documentaires, parce que je voulais pouvoir gérer mon temps avec un enfant en bas âge, que cela me permettait de travailler sur des sujets qui m’intéressaient, et que cette forme de cinéma me convenait particulièrement bien: raconter des histoires à partir du réel. Je suis de nature très curieuse, autant concernant des sujets très divers, que les personnes. Je me suis beaucoup formée « sur le tas », et j’ai progressé par les expériences et les rencontres.
2- Quel a été l’itinéraire de votre dernier film Le Docteur et la femme-médecine ?
Ce film est parti d’une rencontre organisée au CHU de Rouen entre une amie à moi, Amérindienne ( femme-médecine Seneca), et le chef du service addictologie du CHU de Rouen. Mon amie avait été invitée dans le cadre du jumelage entre la ville de Rouen et celle de Cleveland, d’où elle est originaire. Elle venait travailler sur les collections natives du musée d’histoire naturelle de Rouen et le département culture à l’hôpital a appris sa venue. Il se trouve que mon amie a un centre de soin dans la forêt à une heure de Cleveland où elle travaille sur les addictions, les traumatismes de guerre et traumatismes sexuels. Le centre est homologué par l’État de l’Ohio, et elle travaille uniquement en médecine traditionnelle de son peuple, bien qu’elle ait une formation de soignante classique à la base. Elle m’apprend cette invitation que je trouve très surprenante, et je décide de filmer la rencontre sans savoir encore ce que j’en ferai. Je suis en train de finir mon précédent documentaire à ce moment-là. La rencontre se passe particulièrement bien et le chef du service se montre très intéressé par ce que dit mon amie. Cela pique ma curiosité, qui est ce docteur ? Je reste en contact avec lui, fini mon film et le vois à nouveau. Il me parle de son service et des expérimentations, des ateliers mis en place dans l’hôpital de jour, qui se trouve être le même moment où mon amie prend en charge les patients, après le sevrage en hospitalisation. Après des discussions fructueuses, le chef du service est prêt à aller voir mon amie pratiquer dans son centre. Il m’autorise à entrer dans son service. En parallèle, j’ai contacté la société de production Lardux Film, ils sont partants pour produire le film. Je commence un gros travail d’écriture, puis on envoie les dossiers de demandes d’aide, j’obtiens une première aide à l’écriture, puis d’autres aides (Procirep,…).
En décembre 2019, je commence à filmer dans l’hôpital de jour en addictologie. En mars 2020, on est tous confiné par la pandémie de la covid 19. Se posent alors beaucoup de questions : est-ce que je suspends le tournage ? qu’est-ce qu’on fait avec ces masques qui cachent une partie du visage ? Après quelques tergiversations, je décide de rester filmer dans le service, j’ai l’autorisation du docteur. Les masques sont là, mais le propre du documentaire est de travailler avec le réel, c’est le réel. La pandémie dure. Je reste deux ans à filmer dans le service, de manière très régulière, je suis dans l’hôpital de jour plusieurs jours par semaine. Je ne filme pas tout le temps, mais souvent. Je fais bientôt partie des murs, je suis intégrée à l’équipe soignante, tout en restant à ma place, je connais tous les patients et patientes. Je les vois évoluer dans le temps. C’est nécessaire, ce temps long afin de pouvoir me relier à toutes ces personnes. Je n’utilise qu’une caméra très majoritairement, et fais aussi le son. J’ai un peu l’impression d’être une « femme-orchestre »! Ce n’est pas toujours évident et je multiplie les micros par exemple pour avoir des sécurités de ce côté-là. Le cadre, je maitrise de par ma formation et mon expérience initiale, mais le son n’est pas mon domaine. Je n’ai pas le choix, impossible d ‘être à plusieurs dans un service de soin en période de pandémie. De plus, l’hôpital de jour est étroit, avec le matériel, les soignants et les patients, on ne peut accueillir plus de personnes dans les salles.

Au bout de deux ans, on peut enfin aller aux Etats-Unis dans le centre de mon amie. Nous partons sur une courte période (10 jours), impossible pour le chef du service de partir plus longtemps. Je filme encore un peu en rentrant en France, puis je pars en montage sur une durée d’un an, par sessions de 15 jours, trois semaines, une semaine, entrecoupées de périodes sans montage. C’est très bien pour avoir du recul sur ce qu’on fait, pour digérer, réfléchir. Au bout d’un an, on passe en post production (montage et mixage son, étalonnage), en avril 2024 l’avant-première a lieu. Le film circule en festival en France et à l’international, il est allé à New-York ou Las Vegas, en Asie, en Afrique, etc…quelques projections ont été organisées en salles, d’autres vont venir . Il a été acheté par France 3 après sa finition. On a donc fait une version 52 mn pour la diffusion sur France TV.
Je suis très contente d’avoir pu faire ce film sur un peuple, que j’admire beaucoup, et avec lequel j’ai un lien tout particulier. Je suis très heureuse aussi d’avoir expérimenté une réalisation différente de mes autres films, peu didactique, cela m’a demandé un travail d’écriture assez long en amont du tournage, mais je ne le regrette absolument pas. Ce film est un film de transition, que j’aime beaucoup, vers quelque chose de plus complexe en termes de narration cinématographique.
3- Quels sont vos projets actuels ?
Je travaille actuellement sur un documentaire très personnel, pour lequel je viens d’avoir l’aide au parcours d’auteur du CNC. Il s’agit d’un travail qui est en lien avec un travail photographique (je suis photographe) que j’ai sorti il y a deux ans, et qui circule en France actuellement et en Espagne normalement à partir de 2026. Un travail sur les femmes et enfants réfugiés espagnols en 1939, à la Retirada, la fin de la guerre civile espagnole. Mes arrière-grands-parents sont d’origine espagnols, mon arrière-grand-père a combattu le franquisme et a été interné dans des camps en France, tout comme mon arrière-grand-mère ma grande tante. Le film que je veux faire, parle de leur parcours migratoire, en utilisant de la pellicule (cinématographique et photographique), et de l’animation. C’est un projet hybride qui demande pas mal de recherches formelles et sonores, ainsi qu’un gros travail d’écriture… il va avoir une forme assez expérimentale. J’en suis au tout début… on en reparle dans 3 ans ?
