Barbara Hammer , Cinéaste américaine, 1939-2019
La plus grande partie de l’œuvre cinématographique de Barbara Hammer se situe du côté de ce qu’il est convenu d’appeler « cinéma expérimental ». Cette dénomination implique le développement de recherches formelles débouchant sur la réalisation d’œuvres en fort décalage par rapport aux productions cinématographiques courantes à un moment donné et se situant donc en marge des circuits de distribution visant le grand public. Les œuvres de Barbara Hammer se situant dans cette perspective utilisent des formats multiples (16 mm, vidéo, noir et blanc, couleur…) et mobilisent de très nombreux moyens techniques pour créer des effets visuels et sonores nouveaux, toujours surprenants, mais parfaitement maîtrisés. Par exemple, interventions directes sur la pellicule (colorisation ou altérations diverses), effets numériques, solarisation, surimpression, négatif, ou travail plus spécifiquement filmique comme des décadrages ou angles de prise de vue non conventionnels.
Mais Barbara Hammer est en même temps une cinéaste « documentariste » dont la particularité est de réinvestir dans des œuvres à visée documentaire les moyens habituellement utilisés dans le cinéma expérimental. Les documentaires de Barbara Hammer ne sont pas à part dans son œuvre. Ils sont explicitement conçus en cohérence dans les recherches formelles de la dimension expérimentale de ses autres créations. En même temps ils se situent dans la même perspective thématique et conceptuelle que ses œuvres de fiction : défense et illustration de l’homosexualité féminine débouchant sur un militantisme gay et féministe au sens large. L’ensemble de son œuvre explore la sexualité et le désir féminin. Ses documentaires donnent alors la parole aux femmes dans des hommages à des personnalités du cinéma ou de l’art à travers le monde : la réalisatrice américaine d’origine ukrainienne Maya Deren, par exemple, ou la cinéaste Shirley Clarke et Claude Cahun.
Le film qu’elle consacre à la photographe Claude Cahun, Lover/Other (2006), est d’abord un portrait de l’artiste mais c’est aussi une enquête à Jersey où elle vécut avec sa compagne, Suzanne Malherbe, connue sous le nom de Marcel Moore. Rencontrant les personnes qui ont connu ce couple hors normes pour l’époque, la cinéaste s’intéresse essentiellement au regard que la communauté de l’île pouvait porter sur la différence incarnée par les deux femmes. Pendant l’occupation de l’île au cours de la Seconde Guerre mondiale, elles entrent en résistance : ce qui vaut une condamnation à mort de Cahun à laquelle elle échappe quasiment par miracle. Ce destin exceptionnel ne pouvait qu’impressionner Hammer, ce qui est parfaitement sensible à la vision du film. Alternant les images des lieux où vécurent Cahun et sa compagne avec des vues sur son œuvre photographique (les autoportraits célèbres par leur ambigüité) et faisant déclamer par des actrices des extraits de ses textes, elle montre que l’œuvre d’art ne peut pas être abordée en dehors de la prise en compte de la personnalité de l’auteur, ce qu’elle met en œuvre elle-même dans l’ensemble de son cinéma.
Autre exemple de cette implication personnelle de la cinéaste dans son travail de réalisatrice, le film Diving Women of Jiju-Do (2007). Ce film est consacré à une petite communauté de femmes en Corée du Sud qui gagnent leur vie en cueillant des coquillages dans la mer, parfois à des profondeurs importantes. Barbara Hammer plonge avec elles pour les filmer sous l’eau, ce qui nous vaut des images d’une beauté étonnante. Mais le propos de la cinéaste ne s’arrête pas là. Elle s’immerge aussi dans la communauté des femmes, dialoguant avec elles pour comprendre leur mode de vie et leur vision du monde.
L’œuvre de Barbara Hammer nous montre clairement que cinéma expérimental et documentaire peuvent faire bon ménage. Mieux, qu’ils peuvent constituer deux faces différentes mais complémentaires d’une même activité créatrice.