V COMME VIOLON

Trio. Ana Dumitrescu,  2019, 82 minutes. 

Tout commence dans un tunnel, un passage souterrain pour piétons, sous une voie de circulation sans doute, une avenue ou peut-être même une voie ferrée. Il y a là des passant bien sûr, pressés. Quelques mendiants ou clochards ou SDF. Et un musicien, ou plutôt deux musiciens, un violon accompagné par un accordéon. C’est le violon qui attire l’attention de la cinéaste. Sa musique (la deuxième valse de Chostakovitch ou le boléro de Ravel) qui la fascine dès cette première rencontre, comme le dit le texte qui s’imprime sur l’écran, se confondant presque avec le générique de fin. Car cette séquence du tunnel est la séquence finale du film, sa fermeture paradoxale puisque c’est là que le projet du film prend naissance. Ce film qui va raconter la vie de ce joueur de violon, qui n’a pas toujours joué dans ce tunnel. Comment en est-il arrivé là ?

Trio est donc le récit d’une vie, celle d’un musicien roumain. Ou plutôt le récit de deux vies, car la vie du musicien ne peut se raconter qu’à l’intérieur de la vie d’un couple, de son couple, le couple de Gheorghe et Sorina. Une vie de deux amoureux, qui se rencontrèrent jeunes, qui tombèrent amoureux l’un de l’autre, qui se marièrent, qui eurent deux enfants. Ils vécurent (heureux ?) dans cette Roumanie marquée par la dictature de Ceausescu et de la révolution qui le chassa du pouvoir. Un contexte que le film ne peut pas ne pas évoquer.  Est-il un nostalgique de Ceausescu et du communisme, cette époque où le chômage n’existait pas ? Il s’en défend (peut-on l’avouer dans la Roumanie actuelle devant une caméra ?), mais il tient à souligner les « qualités » du dictateur.

La nostalgie, de toute façon, le film en est chargé du début à la fin. D’abord parce que la forme du récit, en voix off, l’inscrit nécessairement dans le passé, un passé nécessairement revalorisé – ou même survaloriser – puisque c’était celui de la jeunesse et de la vie plus vivante qu’aujourd’hui. Et puis le film est en noir et blanc – un noir et blanc d’une éclatante beauté – ce qui renforce, il faut bien le dire, la dimension passéiste de ce récit de vie, présenté comme un grand feed back par la dernière séquence, celle du tunnel.

Une vie donc vécue à deux, et racontée à deux voix. Deux voix qui se répondent, se complètent, font écho l’une à l’autre. Il ne s’agit pourtant pas d’un dialogue, mais d’une connivence, une fusion, où chacun est indispensable l’un à l’autre. Une vie avec ses joies et ses peines, ses moments de bonheur (le voyage à la mer) et ses désillusions (la fin du travail musical à la radio).

Le récit de la vie d’un couple racontée par lui-même. Mais pourquoi donc trio ? Y a-t-il un troisième personnage, un personnage central qui serait le véritable héros du film ? On le comprend très vite dans le film. Son titre n’est donc pas une énigme. La dévoiler avant de voir le film ne détruit pas le plaisir de la découverte. Car Trio est bien un film musical – même si l’on voit très peu Gheorghe jouer avant la séquence finale- un film sur l’amour de la musique. Mais alors, c’est bien son instrument qui est filmé.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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