Congo river. Thierry Michel. Belgique-France, 2006, 116 minutes.
Le Congo, un fleuve mythique, le deuxième du monde avec plus de 4000 kilomètres de long, un fleuve qui est la vie de tout un pays, de tout un peuple. Thierry Michel nous propose de le parcourir sur plus de 1200 kilomètres dans sa partie navigable. Il s’embarque sur une barge qui effectue ce voyage, seul moyen de traverser le pays, avec toute une population, hommes, femmes, enfants et toutes sortes d’animaux et toutes sortes de marchandise. Un voyage plein de dangers, car le fleuve recèle bien des pièges. Pour les éviter il faut être un navigateur expert et surtout connaître parfaitement chaque banc de sable et surveiller sans répit ces étranges matelots dont la tâche consiste à mesurer à chaque mètre parcouru la profondeur de l’eau. C’est le cas du capitaine de notre embarcation, véritable héros du film, après le fleuve lui-même cependant. Voyager sur cette véritable ville flottante, une ville africaine pour sûr, nous permet d’appréhender cette vie africaine si diverse et toujours surprenante pour un européen. Et chaque escale permet d’entrer encore plus dans la vie de ce pays que le réalisateur connaît bien et dont il nous exposera les enjeux actuels à partir de l’évocation des grands moments de son histoire. Comme il le dit dans l’ouverture de son film, remonter le fleuve Congo, c’est effectuer « un voyage à travers la mémoire ».

Le film débute par un extrait de film hollywoodien, où Stanley est envoyé en explorateur en Afrique. C’est lui qui découvrira le fleuve et qui sera le premier à le suivre jusqu’à sa source, le même parcours que nous effectuons avec le cinéaste. Le film alterne les vues du fleuve et de ceux qui effectuent ce long voyage avec des images d’archives tirées essentiellement des actualités du cinéma belge. Ces séquences en noir et blanc d’une autre époque, commentées sur ce ton grandiloquent si caractéristique, renvoient toutes au colonialisme et sont systématiquement mises en perspective avec sa situation actuelle. S’agit-il de l’exploitation, par le travail des congolais réduits à un quasi-esclavage, des richesses du pays ? On continue aujourd’hui à abattre les grands arbres au bois précieux. Quant aux richesses minières, une séquence montre ces enfants très jeunes qui fouillent dans les restes des mines à ciel ouvert pour récolter quelques fragments de minerai de cuivre ou de cobalt, dont la vente leur permettra d’apporter quelques maigres revenus à leur famille. Le cinéaste n’a pas besoin de faire explicitement le procès du colonialisme. Ces images le font pour lui.

Tout au long du parcours, ce sont les vestiges de l’époque coloniale qui attirent l’attention, de grands bâtiments devenus inutiles ou tombant en ruine par manque d’entretien. Les manifestations religieuses sont aussi nombreuses, de l’évocation des pratiques traditionnelles de sorcellerie à ce grand meeting où un prédicateur en costume jaune des plus voyants récolte des fonds. La maladie du sommeil dû à la mouche Tsé Tsé n’est toujours pas éradiquée et continue de tuer. Et puis il y a ces aléas du voyage lui-même, l’annonce par le capitaine de la naissance de son troisième fils (il offrira à boire à tous les passagers), l’arrivée sur les lieux du naufrage d’une barge (les corps des 400 victimes sont encore sur la berge) ou cette autre barge échouée sur un banc de sable, surchargée de bois et de passagers et qu’il sera impossible de remorquer (elle restera trois mois dans cet état, attendant que les eaux du fleuve veuillent bien remonter). Avant la fin du voyage, un terrible orage éclate, inondant l’embarcation. Mais tous ces tracas n’empêchent pas la présence continue de la musique, des chants et des danses, sur les bateaux ou sur les rives. La bande son du film est ainsi particulièrement riche en chants traditionnels.

Lorsque le fleuve n’est plus navigable, à cause des rapides et des cascades que seuls les piroguiers peuvent approcher, le voyage continue par voie des airs, avec de magnifiques vues aériennes, ou par la terre. Cette dernière partie sera consacrée au malheur du pays. C’est d’abord la dictature de Mobutu qui est évoquée à travers la visite des restes du château qu’il voulait faire construire et qui reste inachevé. Mais il est surtout question des guerres qui ont ravagé un pays qui a bien du mal à s’en remettre, comme toutes ces femmes violées et blessées dans leur organes sexuels qui sont soignées tant bien que mal dans des hôpitaux surpeuplés. Reste-il une note d’espoir en l’avenir ?
Remarquable par la beauté des images du fleuve qu’il nous propose, ce film l’est aussi par la rigueur de son approche du continent africain. Une Afrique martyrisée par le colonialisme et par toutes ces guerres récentes interminables. Une Afrique qui reste une terre de mystère que le cinéma peut aider à mieux connaître.
