J COMME JUSTICE – Italie

L’Affaire Sofri. Jean-Louis Comolli. France, 2001, 65 minutes.

         A la fin des années 60, le terrorisme met l’Italie à feu et à sang. En 1969, une bombe fait 16 morts et 88 blessés à Milan. Parmi les militants anarchistes arrêtés et interrogés, l’un d’eux tombe de la fenêtre du quatrième étage. La polémique qui s’ensuit met en cause le commissaire Calabrési, surnommé le « commissaire fenêtre ». Il sera assassiné le 12 mai 1972. Les leaders de Lotta continua seront arrêtés et, lors du premier procès, condamnés à de lourdes peines. De 1990 à 1997, au rythme d’un procès par an, d’appel en cassation, c’est près d’une dizaine de verdicts différents qui seront prononcés. Le premier procès aura été cassé, confirmé, cassé de nouveau, annulé, rejugé, pour aboutir en 1997 à la confirmation définitive de la condamnation par la cour de cassation. La justice italienne n’est guère sortie grandie de l’affaire.

         Pour rappeler ces faits, le film met en scène un dispositif reliant le présent et le passé les images actuelles et les images d’archives. Dans une salle de montage remplie d’ordinateurs, la caméra panote sur les claviers et les écrans. Au bout d’un moment, des écrans s’éclairent. Des images en noir et blanc apparaissent. L’actualité passée est rappelée à notre mémoire. La mise en scène souligne qu’elle sera examinée avec le recul du temps.

         L’Affaire Sofri utilisera cependant relativement peu les images d’archives issues de la télévision. Le propos du film est autrement plus ambitieux que de simplement proposer un retour sur le passé en l’illustrant par les images des événements ou des souvenirs des différents acteurs. Comolli ne propose rien de moins que de mener une analyse du fonctionnement de la justice en temps de lutte contre le terrorisme. Pour cela, il aurait pu convoquer des juristes de tout bord ou des hommes politiques, et proposer une vision pluraliste de l’histoire récente. Si une telle perspective a souvent le mérite de laisser le spectateur se forger lui-même son opinion, elle a le défaut de précisément en rester au niveau de l’opinion. Ou même, des opinions, chacune étant donnée comme comportant une part de vérité, une vérité diluée, encombrée ou même recouverte d’un amas de scories qui ouvre la voie à un relativisme généralisé. A la télévision, bien souvent, toutes les opinions se valent. Et chacun peut sans difficulté y retrouver ses propres positions et ses croyances personnelles. Comolli, à l’évidence, n’est pas un auteur de télévision. Il fait du cinéma, un cinéma politique, donc engagé. C’est pourquoi le dispositif qu’il utilise se concentre sur une seule vision de l’histoire, une conception clairement énoncée comme étant celle d’un seul historien, dont le travail personnel va   constituer la seule source, et le seul contenu, du film.

         Cet historien, c’est Carlo Ginzburg, auteur d’un livre (Le Juge et l’Historien) concernant l’affaire Sofri dont le but est clairement énoncé dans le film. A la suite de la première condamnation de Sofri et de ses co-accusés, il s’agit de montrer que ce verdict est une erreur judicaire. Il vise donc à influencer les jurés du procès en appel. En se centrant sur cette position, Comolli la fait implicitement sienne. Ginzburg sera donc le seul intervenant du film, en dehors de quelques apparitions de Sofri lui-même. Filmé dans son appartement, devant sa bibliothèque, lisant des passages de son livre, il aura tout le loisir de développer ses arguments sans contradicteur. Le film n’est donc pas un exposé des faits. Il est une démonstration. Les contradictions relevées entre les dires des différents témoins, en particulier du « repenti » Marino, dont il est facile de montrer les variations dans le rappel de ses souvenirs, sont alors autant de preuve de la thèse soutenue. Pour Ginzburg, Sofri est ses co-accusés sont innocents.

Au terme de cet argumentaire particulièrement minutieux, la conclusion du film est claire : la justice italienne n’a pas su faire face de façon impartiale au problème du terrorisme. L’affaire Sofri révèle explicitement sa nature politique.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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