Nous. Alice Diop, France, 2020, 114 minutes.
Ce Nous-là est aussi un je. Un film personnel donc, presque en première personne, où la cinéaste n’hésite pas à apparaître, où elle évoque sa famille (avec des images d’archives familiales), ses parents disparus, sa relation particulière avec son père, et sa sœur, dont elle suit l’activité professionnelle (elle est infirmière). Et sa banlieue, celle où elle a grandi, celle où elle a vécu, où elle vit encore.
Le Nous de la banlieue, des habitants de la banlieue. Une communauté virtuelle certes, mais qui se reconnaît ne serait-ce que par la fréquentation du RER. Un itinéraire en banlieue donc, du nord au sud ou du sud su nord, peu importe la direction des trains qui se croisent ou qui s’arrêtent en gare. Des trains qui doivent bien traverser Paris, mais la Capitale reste hors-champ, comme rayée de la carte. La banlieue est suffisamment variée, diversifiée, pour alimenter toute une vie pour ceux qui y vivent, qui y travaillent, qui n’en partent jamais, ou si peu, tout un imaginaire.
Le Nous d’un territoire, d’un itinéraire dans ce territoire. Des rencontres attendues ou surprenantes, forcément contrastées, l’immigré sans papier, ceux qui pleurent la mort de Louis XVI lors d’une cérémonie dans la basilique de Saint Denis ou ceux qui pratiquent la chasse à courre, L’évocation de la shoah, et les jeux tout simples des enfants dans la nature avec un simple carton servant de luge sur l’herbe. Les grands ensembles, on ne les voit que de loin. Alice Diop les avait déjà filmés en 2006, à Clichy (Clichy pour l’exemple).
Le Nous de la littérature, de François Maspero et Pierre Bergounioux. Maspero, c’est le point de départ du film, son origine. Le film aurait pu n’être qu’une adaptation de son livre. Mais ne serait-il pas alors devenu trop sociologique ? Quant à Bergounioux, qui lit des passages de son journal, il définit en quelques mots simples, le sens profond de son écriture, le sens de toute la littérature, faire exister ceux qui ne sont jamais présents dans les systèmes de représentation, comme les paysans de Corrèze. Ce en quoi Alice Diop reconnaît le sens de son cinéma.
Le Nous enfin du cinéma. Avec des références explicites ou implicites, mais inévitables. Renoir et La règle du jeu pour le regard narquois porté sur la chasse à courre ; Robert Kramer et son itinéraire américain le long de la route numéro 1 (Route one / USA), et Gianfranco Rosi, pour ses rencontres tout aussi banales ou surprenantes faites le long du périphérique romain (Sacro GRA). On pourrait aussi évoquer bien des films sur la banlieue, et bien sûr tous ceux d’Alice Diop elle-même ; elle qui n’a jamais filmé rien d’autre, de La Mort de Danton à Vers la tendresse, en passant par La Permanence.
Le Nous du film, c’est aussi le Nous des spectateurs du film. Quel que soit leur lieu de résidence. Devant l’écran, nous partageons le même imaginaire.
A lire D COMME DIOP ALICE (La mort de Danton ; Vers la tendresse)
P COMME PERMANENCE (La Permanence)