B COMME BAUSCH Pina

Pina. Wim Wenders. Allemagne, 2010, 103 minutes.

         N’utiliser que son prénom dans le titre du film qu’il consacre à la chorégraphe allemande Pina Bausch montre les deux orientations majeures du travail du cinéaste ; l’hommage affectueux à une amie disparue et l’insistance sur sa notoriété. Pour Wenders, il n’y a pas de doute. Pina Bausch est une grande chorégraphe, la plus grande peut-être, un génie créatif qui a profondément modifié les bases mêmes de son art et influencé durablement toute la danse contemporaine.

         Le film de Wenders a pour première originalité de ne pas limiter la présentation des créations de Pina Bausch à une captation des spectacles sur scène, ni même à un filmage des moments de répétition (ce que fait de son côté Frédéric Wiseman à propos de l’opéra de Paris), mais de faire sortir la danse du théâtre, de la faire descendre dans la rue, en l’occurrence dans la ville de Wuppertal et ses environs, ville où Pina Bausch passa la majeure partie de sa vie et où elle fonda sa compagnie, le Tanstheater Wuppertal.

         Pina Bausch elle-même est peu présente dans le film de Wenders. Pas d’entretien, d’interviews, de déclarations personnelles ou dans les médias. Elle n’apparaît que dans de courts extraits, en noir et blanc pour les plus anciens, de petits films en 8 mm projetés dans une des salles du théâtre. La dernière séquence présentée est particulièrement émouvante, malgré sa brièveté. Pina danse et peu à peu elle se dirige vers le bord gauche du cadre où elle disparaît en faisant au revoir avec les bras. Une de ses phrases s’inscrit alors sur l’écran : « Dansez, dansez sinon nous sommes perdus ».

         Si la chorégraphe n’est pas physiquement le personnage le plus présent à l’image, sa dance occupe entièrement le film et ses danseurs, les membres de sa troupe, interviennent régulièrement pour parler d’elle. Ils sont filmés en plan fixe, face à la caméra et c’est en off, d’une voix intérieure, qu’ils nous parlent. Ils ne font pas une analyse théorique de la conception de la danse de Pina. Ils parlent de leur relation avec elle, de la façon qu’elle avait, tout à fait originale, de les mettre en confiance, de les aider à vaincre leur timidité (un mot que plusieurs prononcent), par une phrase, un geste, sans jamais donner de leçon. Ces interventions, dans leur sincérité extrême, nous disent plus sur le travail de Pina que n’importe quel discours de spécialiste.

         Comment le cinéaste peut-il faire du spectacle de la danse une œuvre cinématographique ? Wenders utilise les méthodes courantes dans les captations modernes de spectacles vivants. Il filme les danseurs non comme s’ils étaient vus depuis la salle (la fameuse position de l’homme du troisième rang de l’orchestre), mais sur la scène même, à leur côté, alternant gros plans sur les visages ou des parties du corps et les plans plus larges pour filmer des groupes. Les changements d’angle de prise de vue, l’utilisation de légères plongées par exemple, ou des plans à raz du sol (à la Ozu) donnent un dynamisme au film en harmonie étroite avec la danse. Quant aux mouvements de caméra, plutôt lents d’ailleurs, ils amplifient la dramatisation de l’action. Mais Wenders va plus loin. Il met en place des dispositifs proprement cinématographiques. Le plus évident concerne un passage de Kontahthof où un danseur, armé d’un polaroïd sur trépied fait des portraits des couples enlacés présents sur scène. Wenders fige l’image au moment même du déclenchement du flash. L’image bleutée obtenue n’est pas celle prise par le danseur puisqu’il apparaît en amorce dans le cadre. Il s’agit alors d’une ponctuation cinématographique introduisant la séquence suivante à savoir, l’exécution d’une pièce dansée par un des danseurs photographiés – ou les deux – filmée à l’intérieur du théâtre ou à l’extérieur. Comme le filmage des danseurs permettant d’écouter leur voie intérieure en se focalisant sur l’expression de leur visage, ce montage nous fait entrer directement en contact avec leur travail et leur personnalité de danseur. D’ailleurs, l’alternance fréquente, à propos de la même séquence dansée entre le filmage de la scène au théâtre et dans un décor naturel va bien dans ce sens d’inclure la danse dans la vie, la vie quotidienne dans la ville avec sa circulation, ses voitures et son train suspendu qui rappelle Alice dans les villes. Autre effet cinématographique, à propos de Kontahthof toujours. On sait que Pina Bausch a réalisé deux versions de cette pièce, l’une avec des danseurs jeunes, l’autre avec des danseurs âgés de plus de 65 ans. Wenders aurait pu mêler de façon systématique les deux versions, ce qui aurait été une solution de facilité. Il a choisi d’inclure des plans de la deuxième version dans la première de façon plus subtile. Nous sommes avec les danseurs jeunes. Ils s’avancent en ligne sur le devant de la scène (comme font les comédiens pour venir saluer le public). Ils se retournent, dos au public, puis lui font à nouveau face. Mais dans le mouvement des danseurs, Wenders a opéré une coupe invisible et ce sont alors les danseurs âgés qui sont présents à l’image.

         La danse de Pina Bausch, le cinéma de Wim Wenders, qui inspire l’autre ? Qui s’inspire de l’autre ? A l’évidence, la fusion est réussie. Wenders fait un film chorégraphique. Les danseurs du Tanstheater Wuppertal deviennent les personnages d’une saga filmique en hommage à l’œuvre de la chorégraphe. Et l’utilisation de la 3D, pleinement justifiée ici, nous permet de vivre pleinement la danse toujours vivante de Pina Bausch.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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